LA LOCATION D’UN BIEN EN DÉMEMBREMENT DE PROPRIÉTÉ

De nos jours, le démembrement de propriété se révèle de plus en plus fréquent, de par son utilité sur plusieurs points. Le démembrement de propriété a pour but de répartir, dissocier, redistribuer les droits de jouissance d’un bien entre plusieurs personnes. On dissocie : l’usufruitier et le nu-propriétaire. Le démembrement a des conséquences sur les rapports bailleur-locataire lorsque le bien est loué. Nous allons dans cet article vous détailler
les conséquences de ce montage.

QU’EST-CE QUE LE DÉMEMBREMENT DE PROPRIÉTÉ ?

Juridiquement, le démembrement de propriété consiste en la séparation du droit de propriété en deux droits distincts : d’une part la nue-propriété détenue par le nu-propriétaire, et d’autre part l’usufruit détenu par l’usufruitier. Il s’agit donc de détacher certains éléments du droit de propriété pour les transférer à une autre personne. La nue-propriété est le droit de disposer, dans une certaine mesure, du bien. Quant à l’usufruit, droit de propriété réel temporaire, celui-ci permet de jouir du bien c’est-à-dire de l’occuper ou d’en tirer des revenus locatifs, mais à charge d’en conserver la substance. Par définition, l’usufruit est temporaire, qu’il soit viager ou à durée fixe. Une des conséquences principales, en droit des obligations, est que, lorsque le droit de propriété est démembré, chaque partie ne peut plus disposer librement du bien. En effet, chacun doit demander l’accord de l’autre. En pratique, cela entraine plusieurs conséquences :

– le bien ne peut pas être vendu sans le consentement commun du nu-propriétaire et de l’usufruitier ;

– l’usufruitier a l’obligation de conserver la chose (et au terme de l’usufruit de la restituer) ; le bien devra en principe être restitué dans son état d’origine au nu- propriétaire ;

– le nu-propriétaire doit laisser l’usufruitier jouir paisiblement de la chose.

QUI PEUT LOUER LE BIEN DÉMEMBRÉ ?

L’usufruitier, qui a le droit d’utiliser le bien, a le pouvoir de conclure les baux d’habitation. Le droit de jouissance conféré à l’usufruitier signifie qu’il peut consentir, seul, un contrat de location d’une durée inférieure à neuf ans conformément à l’article 595 du Code civil et en percevoir les revenus.

Une limite existe cependant concernant la conclusion de baux commerciaux ou ruraux : en effet, le Code civil considère la conclusion de ces baux comme des actes de disposition qui nécessitent alors l’accord du nu-propriétaire. L’usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal. À défaut d’accord du nu-propriétaire, l’usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte. Si l’usufruit venait à cesser avant la fin du bail, ce dernier serait inopposable au nu-propriétaire pour la durée du bail restant à courir.

NU-PROPRIÉTAIRE OU USUFRUITER – BAILLEUR : QUI DOIT SUPPORTER LES RÉPARATIONS ?

Droits et obligations de chacun :
D’une manière générale, le Code civil prévoit un régime par défaut pour encadrer les rapports entre nu- propriétaire et usufruitier. Qu’il soit loué ou non, un immeuble comporte des charges qui doivent être réparties entre usufruitier et nu-propriétaire. Lorsque le bien n’est pas mis en location, l’article 605 du Code civil, prévoit que le principe de répartition des réparations entre le nu-propriétaire et l’usfruitier se fait de la manière suivante :

• l’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien ;

• Les grosses réparations demeurent à la charge du nu-propriétaire, à moins qu’elles n’aient été occasion- nées par le défaut de réparations d’entretien, depuis l’ouverture de l’usufruit ; auquel cas l’usufruitier en est aussi tenu. Constitue, d’une manière générale, des grosses réparations, toutes celles qui concernent les fondations, la structure et la solidité générale de l’immeuble (poutres, murs, toitures notamment). Le reste étant de l’ordre de l’entretien, c’est-à-dire utile au maintien permanent en bon état de l’immeuble.

Néanmoins, l’origine du démembrement est le plus souvent conventionnel ; les parties peuvent, ainsi, déroger aux règles prévues dans le Code civil en stipulant dans le contrat, par exemple, d’autres règles de jouissance du bien ou de répartition des charges. Lorsque le bien est mis en location, l’usufruitier en tire des revenus fonciers. Dans les rapports avec le locataire, c’est donc l’usufruitier qui assumera le rôle et les obligations d’un propriétaire classique ; le nu-propriétaire n’étant qu’un tiers dans cette relation bailleur/locataire. Au regard du droit locatif, l’usufruitier-bailleur est donc considéré comme étant le seul propriétaire du bien et dis- pose de toutes les prérogatives d’un bailleur classique (conclure et signer le bail, souscrire à une assurance loyer impayé, encaisser les loyers, etc.) et il est égale- ment tenu des mêmes obligations qu’un propriétaire traditionnel à l’égard des locataires de l’immeuble sur lequel porte son usufruit. Non seulement l’usufruiter est tenu aux dépenses d’entretien du bien mais aussi aux grosses réparations qui ne sont plus à la charge du

nu-propriétaire mais doivent être supportées désormais par l’usufruitier-bailleur. En effet, la jurisprudence a inversé le principe traditionnel en jugeant que c’est à l’usufruitier-bailleur de supporter toutes les réparations, qu’elles soient d’entretien ou considérées comme grosses réparations (arrêt du 28 juin 2006 de la Cour de Cassation, 3e Chambre civile 05-15.563). Enfin, l’usufruitier devra également supporter toutes les réparations en cas de dégradations du bien commises par un locataire indélicat. L’extinction d’un usufruit ne remet pas en cause le bail. Le nu-propriétaire reprend le bail en cours et doit attendre la fin du bail afin d’envisager d’y mettre fin, en respectant, bien évidemment, son pré- avis. Une fois encore, l’usufruitier et le nu-propriétaire peuvent prévoir dans l’acte de démembrement ou plus tard, par mandat, une répartition conventionnelle différente des pouvoirs d’administration, où les pouvoirs sont plus partagés, ou attribués dans leur intégralité à un seul.

LES DROITS ET OBLIGATIONS DE L’USUFRUITIER ET DU NU-PROPRIÉTAIRE EN MATIÈRE FISCALE

En cas de démembrement du droit de propriété et de mise en location du bien loué, nu-propriétaire et usufruitier ont des obligations fiscales différentes. En effet, comme nous allons le voir, le nu-propriétaire est

fiscalement transparent car toutes les dépenses (entre- tien, grosses réparations, charges locatives, etc.) ont été, dans ce cas, supportées par l’usufruitier-bailleur. Fiscalement, dès lors que le nu-propriétaire ne perçoit aucun revenu locatif imposable (les loyers revenant à l’usufruitier ; tout comme les dépenses réparatives incombant à l’usufruitier), il ne peut, en principe, déduire aucun déficit foncier afférent au bien mis en location.

Quant à l’usufruitier, ce dernier perçoit les revenus générés par la location du bien, c’est-à-dire les loyers, et, comme nous l’avons vu précédemment, il est égale- ment tenu des réparations. Pour cette raison, en application de l’article 156 du Code général des impôts, l’usufruitier est autorisé, comme un bailleur classique, à opérer une déduction des charges et des frais qu’il aurait pu engager dans le cadre de la mise en location du bien. Cela signifie qu’il pourra déduire de ses revenus non seulement les frais et charges liés à son activité de location (frais de gestion du bien ou intérêts d’emprunt notamment) mais également les dépenses d’entretien ou de réparations (qu’il peut, par ailleurs, également amortir selon le cas). Il est donc recommandé à l’usufruitier-bailleur de s’enregistrer en tant que loueur meublé non professionnel ou professionnel, selon le cas, afin de bénéficier de la possibilité de déduire les charges et pratiquer les amortissements. Concernant le paiement des impôts locaux, lorsque le bien est libre, l’usufruitier est redevable du paiement de la taxe foncière et de la taxe d’habitation. Si le bien est loué, la taxe d’habitation incombera au locataire. Le paiement de l’IFI incombe également, en principe, à l’usufruitier pour la valeur du bien en pleine propriété. Dans certains cas, le nu-propriétaire et l’usufruitier sont imposés séparément sur la valeur de leurs droits respectifs, selon une répartition qui dépend de l’âge de l’usufruitier par référence à un barème fiscal. Il en est ainsi en cas de démembrement résultant d’une succession, ou en cas de donation ou legs avec réserve d’usufruit au profit d’une personne morale, ou en cas de démembrement résultant de la vente de la nue-propriété. Le nu-propriétaire a, alors, la possibilité de déduire de son assiette IFI les dettes découlant de la conservation ou de l’acquisition du bien démembré, alors même que celui-ci ne figure pas dans son patrimoine imposable.

Me Cécile SAMPAIO notaire à Bordeaux.

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