Activité de marchands de biens immobiliers, les pièges à déjouer

De nos jours, en particulier en ces temps de crise, l’immobilier est souvent présenté comme un domaine permettant de réaliser des revenus importants rapidement. Sous l’impulsion de l’entourage, de vidéos et articles trouvés sur Internet, beaucoup de personnes sont tentées de se lancer dans l’activité d’achat-revente de biens immobiliers, et ce dans le but de générer une plus-value. Cependant, derrière son apparente fausse simplicité, cette activité recèle de nombreux pièges, qu’il faut savoir anticiper et déjouer, leurs conséquences pouvant être bien plus lourdes que ce que l’on imagine.

Tout le monde peut-il être marchand de biens immobiliers ?
Il n’y a pas de prérequis pour devenir marchand de biens, mais il est toutefois fortement recommandé de bien connaître à la fois le marché immobilier et les règles qui le gouvernent, qu’il s’agisse des obligations imposées à tout vendeur de bien immobilier, ou encore les règles du droit de la construction. Ensuite, acheter et revendre des biens immobiliers ne suffit pas à caractériser l’activité de marchand de biens : il faut que ces opérations d’achats et reventes soient effectuées de manière habituelle et répétée dans le temps, dans une intention spéculative.
Il faut savoir que cette qualification n’est pas sans conséquence sur la personne qui se livre à une telle activité : un marchand de biens est un commerçant, il est considéré à ce titre comme un professionnel de l’immobilier, ce qui alourdit grandement sa responsabilité et ses obligations lors de la revente des biens qu’il acquiert. Fiscalement, également, son régime ne sera pas le même que celui d’un particulier qui vend un bien immobilier de façon isolée. S’agissant d’une activité professionnelle, quelle que soit la forme choisie, le marchand de biens se verra également contraint de tenir une comptabilité.

S’il est tout à fait possible de réaliser l’activité de marchand de biens à plusieurs, dans le cadre d’une société, la société civile immobilière est à proscrire. Juridique- ment, ce type de société n’est pas destiné à l’exercice d’une activité commerciale. Son utilisation doit être réservée aux activités de pure gestion patrimoniale, comme la location nue. Il existe, pour les activités commerciales, d’autres formes de société qui peuvent parfaitement correspondre à la situation de deux per- sonnes qui souhaitent créer une entreprise : SNC, SARL ou encore la SAS. La consultation croisée d’un notaire et d’un expert-comptable, chacun dans son domaine d’expertise, permettra de déterminer la structure sociale adaptée au projet spécifique de chacun.

Peut-on acquérir un bien immobilier, l’occuper à titre de résidence principale et le revendre rapidement après travaux en conservant le bénéfice de l’exonération de plus-value ?
À l’heure actuelle, il est effectivement possible de bénéficier, lors de la vente d’un logement constituant sa résidence principale, d’une exonération de plus- value. Rappelons qu’il n’existe aucun délai minimum pour bénéficier de cette exonération.

Cependant, l’administration fiscale est en droit de contester la qualification de résidence principale, et de refuser l’application de l’exonération de plus-value, lorsqu’elle estime que le contribuable s’est artificiellement domicilié dans le bien vendu, juste avant de le revendre. Elle pourra ainsi, si elle arrive à prouver qu’au moment de l’achat, le contribuable avait l’intention de revendre le bien acquis, remettre en question l’exonération. L’administration sera alors en droit de requalifier l’opération, pour lui appliquer les règles de la fiscalité professionnelle (absence d’exonération de plus-value, application des règles applicables aux plus-values professionnelles, de la TVA en cas de revente portant sur un bien neuf). Diverses pénalités peuvent également être appliquées.

Quelle est la fiscalité applicable aux opérations de marchands de biens ?
Cette activité est commerciale. Elle se voit donc appliquer les impôts applicables aux professionnels. Tout dépendra alors de la forme choisie pour exercer l’activité :
En cas d’exercice en qualité d’entrepreneur individuel, ou de société soumise à l’impôt sur le revenu, les gains retirés de cette activité seront imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. En cas de société soumise à l’impôt sur les sociétés, c’est cet impôt qui s’appliquera au bénéfice réalisé. Ajoutons également que selon le type de bien vendu, et le régime fiscal de l’acquisition, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pourra être appliquée également. L’un des principaux avantages fiscaux du marchand de biens est que lors de son acquisition, il peut bénéficier de droits d’enregistrement réduits, ce qui diminue considérablement les frais d’acte qu’il doit acquitter. Il doit alors s’engager, dans l’acte d’achat, à revendre le bien acquis dans les 5 ans.

Je viens d’acquérir un bien que je souhaite revendre. Le bien est actuellement loué nu à usage d’habitation. Puis-je donner immédiatement congé au locataire pour vendre libre de toute occupation ?

La réponse est négative. C’est la raison pour laquelle une opération d’achat-revente doit être mûrement réfléchie et préparée avant même la signature d’un avant-contrat d’achat.

– Soit le bail en cours expire dans un délai supérieur à trois ans à compter de la date d’acquisition : à ce moment-là, il sera possible de donner congé pour vendre au locataire au terme de ce bail.

– Soit le bail en cours expire dans un délai inférieur à trois ans à compter de la date d’acquisition : à ce moment-là, il faudra laisser passer le terme du bail en cours, puis attendre l’expiration de la première période de tacite reconduction de trois ans, pour pouvoir vendre libre de toute occupation.

Enfin, précisons que les dispositions rappelées ci- dessus émanent de la loi, mais qu’il est tout à fait possible, en cas d’accord entre le bailleur et son locataire, de convenir d’une date de résiliation amiable du bail, parfois contre dédommagement, afin de permettre de mener à bien l’opération d’achat-revente. Une fois de plus, la prudence est de mise, et en cas de volonté d’acquisition d’un bien loué, une consultation préalable de son notaire semble plus qu’utile.

Je souhaite acquérir, en qualité de marchand de biens, une maison entourée d’un terrain, et vendre séparément la maison et le terrain, préalablement divisé en plusieurs parcelles. Quelles sont les précautions à prendre pour assurer la viabilité de cette opération ?

Compte tenu de la pénurie de foncier constructible à laquelle font face les professionnels de l’immobilier de nos jours, une pratique courante consiste à se porter acquéreur d’une maison entourée d’un terrain, ou comportant un terrain adjacent, en zone constructible, puis de diviser cette propriété pour revendre, séparément, la maison et un ou plu- sieurs terrains à bâtir. Il faut donc tout d’abord obtenir l’autorisation, de la part de la Mairie, de procéder à cette division foncière. Ensuite, des précautions sont à prendre, notamment pour s’assurer de bénéficier du régime fiscal escompté lors de la revente des terrains à bâtir : lorsqu’un professionnel cède un terrain destiné à la construction, cette opération est soumise, de plein droit, à la TVA. À ce jour, il existe deux régimes de TVA, dont l’un dit de la « TVA sur marge », est plus favorable au professionnel aménageur. Cependant, les conditions pour bénéficier de ce régime se sont drastiquement durcies au cours des dernières années. Il sera notamment nécessaire de prévoir la division dès le stade de l’acquisition, via l’obtention d’un document d’arpentage, en ventilant le prix de vente entre celui du bâti et celui du non-bâti afin qu’il y ait identité de qualification juridique entre la désignation figurant dans l’acte de vente et celui de la revente.Ici encore, une consultation préalable de son notaire, en amont de la signature d’un compromis de vente, est indispensable.

Quels sont les risques à réaliser des opérations d’achat-revente régulièrement, sur son patrimoine privé, en qualité de particulier ?
Dans toute opération, il est nécessaire de garder à l’esprit qu’en cas de contentieux, le juge n’est pas lié par la qualification donnée par les parties. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’une personne se présente comme un particulier, réalisant de façon isolée une opération de vente immobilière, qu’un juge, et notamment un juge fiscal, ne pourrait pas considérer que se cache en réalité derrière cette opération une activité de marchand de biens. Les risques sont alors importants.

D’abord, d’un point de vue juridique, le « particulier » perdrait cette qualité pour endosser la casquette de « professionnel », ce qui implique notamment la solidarité des vendeurs, en cas d’opération réalisée à plu- sieurs, mais également une présomption de connaissance des vices cachés du bien. Autrement dit, si le bien vendu s’avère receler un vice non apparent à l’œil nu, qu’un profane pourrait légitimement ne pas connaître, le vendeur requalifié de professionnel sera tenu de réparer ce vice, dont il sera réputé avoir eu parfaite connaissance.

L’autre risque, majeur, est un risque fiscal. La fiscalité des professionnels étant totalement différente de celle des particuliers, la requalification par un juge de la ou des opérations réalisées entraînera une rectification des impositions. La plupart du temps, s’ajouteront à ces rectifications fiscales des pénalités et intérêts de retard, pénalités qui peuvent aller jusqu’à 80 % du montant de l’impôt éludé en cas d’application de la procédure dite de « l’abus de droit fiscal », c’est-à-dire en cas d’opération réalisée artificiellement, dans le but unique ou principal d’éviter l’imposition.

En conséquence, mieux vaut ne pas se lancer à la légère dans une opération d’achat-revente en immobilier, et la consultation préalable d’un notaire, dès que la volonté de réaliser une telle activité se précise, semble de mise.

Par Me Aouatif BRUN-GARNI, notaire à Bordeaux.

 

 

 

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