RÉPARTITION DU PRIX DE VENTE D’UN BIEN DÉMEMBRÉ

Il arrive fréquemment que des immeubles soient détenus pour l’usufruit par des parents, et pour la nue-propriété par leurs enfants. Lorsque la décision est prise de vendre cet immeuble, le notaire avertira les vendeurs sur la question de la répartition du prix de vente, qui aura des incidences notamment sur le calcul de l’impôt sur la plus-value. Notons tout d’abord que la vente d’un immeuble détenu en démembrement de propriété nécessite l’accord de tous, tant usufruitiers que nus-propriétaires.

 

UN CHOIX À OPÉRER 

Le sort du prix de vente en pareille situation est prévu par l’article 621 du Code civil, qui pose le principe de la répartition du prix de vente entre usufruitier et nu-propriétaire selon la valeur respective de chacun de ces droits, mais ouvre également la possibilité de reporter l’usufruit sur le prix de vente. Enfin, une troisième option ouverte aux parties consiste à maintenir le démembrement en remployant le prix de vente dans l’acquisition d’un nouveau bien immobilier.

Le choix à opérer entre ces trois options sera aiguillé par l’étude des objectifs des vendeurs : ont-ils besoin de trésorerie, souhaitent-ils maintenir un démembrement de propriété sur un autre immeuble ou sur un produit financier ?

De plus, la question du redevable de l’impôt sur la plus-value immobilière sera sans doute un autre facteur de choix, selon les éventuelles exonérations dont pourraient bénéficier l’usufruitier ou le nu-propriétaire. Il sera opportun d’aborder ces questions avec le notaire en amont de la vente, et de préciser le choix opéré dans une convention, afin de consigner par écrit les accords des parties.

 

LA RÉPARTITION DU PRIX DE VENTE 

Il est possible de procéder à la répartition du prix de vente entre usufruitier et nu-propriétaire. Il faut alors avoir en tête que l’usufruitier reçoit une somme qui pourra se retrouver dans sa succession, si elle n’est pas consommée sans être remployée.

Ainsi, cette somme sera taxée, chez le nu-propriétaire héritier, lors de l’ouverture de la succession de l’usufruitier. Il s’agit là d’un élément à prendre en compte car il supprime l’avantage du démembrement, qui a pu être initialement voulu lors de l’acquisition par les parties ou lors de la donation de la nue-propriété aux enfants, à savoir de permettre, au décès de l’usufruitier, la réunion de l’usufruit et de la nue-propriété sans taxation. Bien entendu, l’objectif peut avoir changé entre-temps, et la remise du prix à chacun selon ses droits voulus par les parties.

Dans ce cas-là, il faudra s’interroger sur la méthode d’évaluation des droits de chacun. Il est possible de recourir au barème fiscal de l’article 669 du Code général des impôts pour y procéder. Celui-ci fixe de manière forfaitaire la valeur de l‘usufruit selon l’âge de l’usufruitier, par une diminution de 10 % tous les 10 ans, par souci de simplification des calculs fiscaux. Le recours à ce barème n’est cependant pas obligatoire.

Il existe également une méthode d’évaluation économique de l’usufruit, notamment basée sur le taux de rendement du bien et l’espérance de vie statistique de l’usufruitier. La valeur de l’usufruit ainsi déterminée pourrait être plus importante, du fait de la prise en compte de facteurs adaptés à la réalité de la situation.

Entre les deux, l’administration fiscale n’interdit pas d’opter pour la solution la moins onéreuse. Par exemple, si le bien vendu constitue la résidence principale de l’usufruitier, il est intéressant de choisir la méthode d’évaluation maximisant la valeur de l’usufruit, car la cession de ces droits pourra alors bénéficier d’une exonération de l’impôt sur la plus-value, tandis que le nu-propriétaire sera soumis à cet impôt sur la part lui revenant.

 

LA CONSTITUTION D’UN QUASI-USUFRUIT SUR LE PRIX DE VENTE

Les parties pourront également choisir de procéder à la constitution d’un quasi-usufruit par report du démembrement de propriété sur le prix de vente du bien. Le quasi-usufruit entraîne pour son titulaire le droit de disposer du bien, qui est ici une somme d’argent, à charge pour lui de la restituer à son décès. Par suite, le nu-propriétaire bénéficie, au décès de l’usufruitier, d’une créance qui devra lui être remboursée par la succession de l’usufruitier. L’avantage de cette méthode est de laisser à l’usufruitier, sa vie durant, le bénéfice de la totalité du prix de vente du bien. Il pourra donc l’utiliser comme bon lui semble.

Cette dette de restitution ne pourra être soustraite de l’actif successoral au décès de l’usufruitier que si elle résulte d’un acte authentique ou d’un acte sous seing privé ayant acquis date certaine avant l’ouverture de la succession. Ainsi, le notaire recommandera la rédaction d’une convention de quasi-usufruit entre les parties, indiquant notamment l’origine du quasi-usufruit, les biens sur lesquels il s’applique. Il est également possible de prévoir une clause d’indexation afin que le nu-propriétaire ne subisse pas la dépréciation monétaire. Si aucune clause d’indexation n’est prévue, la dette de restitution est égale à la somme soumise au quasi-usufruit.

La loi de finances pour 2024 a ajouté un article 774 bis dans le Code général des impôts, lequel conditionne la déductibilité de la dette de quasi-usufruit au moment de la succession du quasi-usufruitier. Le texte vise notamment les situations de transmission de la nue-propriété d’un bien, suivie de la cession de ce bien et de la constitution d’un quasi-usufruit sur le prix de cession. Dans ce cas-là, le quasi-usufruit pourra être distrait de l’actif taxable s’il est justifié que la dette de restitution n’a pas été contractée dans un but principalement fiscal. Il sera donc opportun de préciser dans la convention de quasi-usufruit le but de cette constitution.

 

LE MAINTIEN DU DÉMEMBREMENT SUR UN AUTRE BIEN

Enfin, il sera possible de choisir de maintenir le démembrement, en remployant le prix de vente du bien dans un autre bien, par application de la théorie de la subrogation. Il s’agit là simplement d’une substitution de l’objet du démembrement, par exemple si les usufruitiers souhaitent changer de résidence principale.

 

LA QUESTION DU REDEVABLE DE L’IMPÔT SUR LA PLUS-VALUE

La cession d’un bien immobilier est le fait générateur d’un impôt sur la plus-value. Qui de l’usufruitier ou du nu-propriétaire en sera redevable ?

La réponse est claire en cas de répartition du prix de vente entre l’usufruitier et le nu-propriétaire : l’opération est susceptible de dégager une plus-value imposable au nom de chacun des titulaires de droits démembrés. Ainsi, comme nous l’évoquions un peu plus haut, si le bien vendu constitue la résidence principale de l’usufruitier, il sera totalement exonéré d’impôt sur la plus-value, tandis que le nu-propriétaire se verra imposé. Une incertitude persiste quant au redevable de l’impôt sur la plus-value si les contribuables choisissent de constituer un quasi-usufruit sur le prix de vente, ou de remployer le prix de vente dans un autre bien. La doctrine est partagée et nous n’avons pas de jurisprudence pour trancher la question. 

Une des solutions pourrait être d’appliquer la même règle que celle qui est posée en matière de plus-value de cession de droits sociaux. Il est en effet prévu que la plus-value est imposable, soit au nom du nu-propriétaire en cas de remploi, soit au nom de l’usufruitier en cas de quasi-usufruit, soit au nom des deux en cas de partage du prix de cession, à hauteur de la quote-part de chacun.

Dans l’attente d’une clarification par le législateur ou la doctrine administrative, le notaire pourrait proposer aux parties de déterminer par convention qui de l’usufruitier ou du nu-propriétaire aura la charge de l’impôt. En revanche, cette convention ne pourra pas déterminer l’identité du redevable fiscal de l’impôt, qui ne relève que de la loi. Le risque, cependant, est que, si la convention faisait peser la charge de l’impôt sur une des parties, qui, finalement, ne se verrait pas qualifiée de redevable par l’administration fiscale, ce transfert de charge de l’impôt pourrait être considéré comme une donation ou un prêt, entraînant alors des conséquences non voulues par les parties.

Ainsi, à ce jour, la solution la moins risquée serait de répartir la charge de l’impôt entre l’usufruitier et le nu-propriétaire selon leurs droits, quel que soit le choix de répartition du prix de vente effectué. Si une des parties a besoin de trésorerie pour financer l’impôt sur la plus-value, un partage partiel du prix de vente pourra être retenu.

Pour conclure, l’on peut dire que la question de la répartition du prix de vente n’est pas si anodine, et qu’elle engendre des conséquences à ne pas négliger, d’où la nécessité de bien étudier la question auprès de votre notaire dès que la vente du bien démembré est envisagée.

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