Réussir la transmission d’une propriété viticole

Transmettre sereinement une exploitation viticole suppose d’anticiper et de préparer la démarche suffisamment à l’avance. Fruit d’une équation très personnelle, cette opération parfois longue et complexe nécessite le recours à un expert. Pour mener à bien votre projet de transmission, suivez les conseils de Maître Delphine DETRIEUX, notaire à La Réole, vice-présidente de la chambre des notaires de la Gironde.

Avant toute chose, se poser les bonnes questions

Pour préparer sereinement la transmission d’une entreprise viticole, il est indispensable de se poser les bonnes questions.

Qui va prendre la suite ? S’agira-t-il d’un membre de la famille ou d’une personne hors cadre familial ? Comment évaluer les compétences du repreneur ? Qu’est-ce que je transmets ? Pour quelle valeur ? Faut-il envisager une cession concomitante de l’exploitation, elle-même, et du foncier, support de l’exploitation ? Quels impôts devront être réglés ? Combien de temps s’y prendre à l’avance ?

Des réponses précises et pertinentes à ces questions constituent un préalable incontournable vers une transmission dans les meilleurs conditions juridiques et fiscales.

Il faut également savoir que l’exploitant et le repreneur vont devoir réaliser de multiples démarches administratives, financières, juridiques et fiscales, et devront anticiper toutes les problématiques liées à la transmission.

Choisir la forme sociétaire la mieux adaptée

Si ce n’est déjà fait, il sera préférable de constituer une société, tant pour l’exploitation que la détention du foncier. La mise en société comporte plusieurs avantages. Elle peut permettre notamment de séparer le patrimoine personnel du patrimoine professionnel, et d’éviter le statut de l’indivision, qui reste un statut contraignant.
Par ailleurs, la mise en société favorise la transmission notamment aux profit des enfants. Le chef d’exploitation a la possibilité de transmettre des titres de la société d’exploitation aux enfants repreneurs de l’activité et des titres de la société détenant l’immobilier à ses autres enfants. Cette solution, parmi d’autres, peut préserver l’harmonie familiale, et faciliter les partages en famille.

Selon sa situation et ses objectifs patrimoniaux, l’exploitant peut choisir entre trois grandes catégories de sociétés agricoles/viticoles :

  • –  La société foncière, tel que le groupement foncier agricole (GFA) le groupement foncier rural (GFR), ou parfois une simple société civile, aura pour but la création ou la conservation d’un ou de plusieurs domaines agricoles. Elle permet de conserver le patrimoine foncier en dehors de l’exploitation. Elle suppose au moins deux associés.

  • –  La société de gestion ou d’exploitation a pour objet la gestion et l’exploitation d’un domaine agricole ou encore la réalisation d’un travail en commun. Les formules plus couramment utilisées sont le groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), la société civile d’exploitation agricole (SCEA) et l’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL). Bon à savoir : en GAEC, tous les associés doivent être exploitants.

– Les sociétés commerciales sont parfois utilisées en agriculture. Elles sont plutôt dédiées à la commercialisation de la production. On rencontre régulièrement des sociétés à responsabilité limitée (SARL) ou sociétés par action simplifiée (SAS). En ce qui concerne la SARL, celles constituées entre membres d’une même famille peuvent bénéficier d’une régime dit « SARL de Famille » au statut fiscal avantageux.

Chaque forme juridique a ses avantages et ses inconvénients. Il faut donc faire le point avec un spécialiste pour sélectionner l’option la plus pertinente.

Déterminer le mode de transmission

Quelque soit le mode de transmission, il convient de faire l’inventaire des éléments à transmettre : la marque, le stock et ses modalités de valorisation, le matériel, et en cas de cession de titres, les comptes courants d’associés, les créances éventuelles, et les conditions de la garantie de passif.
La transmission peut s’effectuer par le biais d’une vente. Il est également envisageable de transmettre via une donation. Cette solution doit être privilégiée en cas de transmission au profit d’un membre de la famille. Également, on rencontre parfois des transmissions au profit de salariés de l’exploitation, ceux bénéficiant d’avantages fiscaux non négligeables.

La donation-partage est l’acte par lequel un parent donne et effectue le partage des biens donnés entre les donataires. Ce type de transmission entre parent et enfants (et petits enfants) permet de figer les valeurs des biens donnés au jour de l’acte, prévenant ainsi d’éventuelles querelles lors de l’ouverture de la succession, notamment si les biens donnés ont pris de la valeur entre le jour de la donation et le décès du donateur. La donation-partage est également avantageuse sur le plan fiscal. Ainsi, les biens partagés ne sont pas taxés à hauteur de 2,5 % comme pour un partage de succession.

Aussi, il convient de s’interroger sur la transmission du foncier. Dans le cas d’un foncier exploité en fermage, la transmission des biens loués suppose soit une cession de bail rural, soit la conclusion d’un nouveau bail entre le bailleur et le repreneur. On peut également réaliser un apport du droit de bail à la société.
Concernant la transmission de foncier en propriété, il est envisageable de le vendre au repreneur pour obtenir immédiatement une contrepartie financière. On peut aussi décider de le louer en privilégiant un bail à long terme assorti de divers avantages fiscaux.

Maîtriser la fiscalité

Il existe plusieurs techniques pour optimiser la fiscalité sur la transmission d’une propriété viticole.
En amont de la cession des terres, on peut ainsi conclure un bail rural à long terme. Grâce à ce type de contrat de location, un propriétaire loue, contre paiement d’un fermage, des biens agricoles à un fermier qui s’engage à les exploiter pour une certaine durée. Le bail rural à long terme (au moins 18 ans) est assorti, sous conditions, d’avantages fiscaux particulièrement attractifs. A l’occasion de la transmission à titre gratuit des terres par le propriétaire, chaque donataire ou héritier profite d’un abattement à concurrence de 75 % de la valeur transmise jusqu’à 300 000 € et à concurrence de 50 % au-delà de ce seuil. A l’occasion d’une vente au profit du fermier, les droits d’enregistrement payés par celui-ci compris dans les frais d’acte, sont allégés. Ces avantages sont soumis à des engagements qui devront être pris dans les actes de cession.
Le pacte Dutreil permet de bénéficier d’un régime fiscal de faveur pour la transmission à titre gratuit d’entreprises. Ce régime est conditionné à une détention depuis plus de deux ans pour les entreprises individuelles ou à un engagement collectif de conservation de titres de sociétés de deux ans pris par les associés. Lors de la transmission, ces engagements, s’ils sont en cours, sont repris par les donataires. Ils doivent quant à eux prendre un engagement individuel de conservation des biens transmis pendant quatre ans et l’un d’eux doit assurer une fonction de direction pendant trois ans, au sein de la société ou de l’entreprise.

En contrepartie, chaque donataire bénéficie d’un abattement de 75 % sur la valeur des biens reçus. De plus, lorsque le donateur a moins de 70 ans et transmet la pleine propriété des biens, les droits de mutation à titre gratuit sont réduits de moitié.

Ceci étant dit, chaque entreprise, chaque société, et chaque famille, ayant ses particularités, il est indispensable de consulter un notaire afin d’effectuer, avec lui, un bilan patrimonial personnel et professionnel et d’envisager au mieux toute transmission.

Viticulteur à Morizes dans l’Entre-deux-Mers, Président des Vignerons Bio de Nouvelle-Aquitaine et membre du syndicat des Bordeaux, Laurent Cassy a repris l’exploitation familiale il y a près de trente ans. Celui qui a été élu Vigneron de l’année 2021 par Terres de Vins a déjà une expérience de reprise/transmission. Il espère bien que ses filles perpétueront la tradition. Témoignage.

« Passer le flambeau dans les meilleures conditions ! »

Laurent Cassy :

« Je n’ai pas eu à aller chercher bien loin pour développer une passion pour la vigne. J’appartiens en effet à une famille qui fait du vin et de la polyculture depuis au moins cinq générations. Après un BTAO option œnologie, j’ai repris l’exploitation familiale en 1993 lorsque mes parents ont décidé d’arrêter. La transmission s’est faite via une donation-partage. La reprise a été réalisée en deux temps. J’ai d’abord travaillé comme salarié pendant un an avant de véritablement prendre les rênes de l’exploitation. J’ai opté pour le fermage afin d’assurer une retraite décente à mes parents et j’ai payé des soultes à mes sœurs aînées. J’ai donc l’expérience d’une première reprise/transmission. A l’époque, j’ai trouvé que l’accès à des informations claires et précises, concernant par exemple le portage foncier ou encore les aides à la reprise, était compliqué. Or, la réussite d’une telle démarche repose principalement sur la qualité de l’information obtenue. Si j’ai un bon conseil à donner à tous ceux qui s’embarquent dans une telle opération, c’est de s’appuyer sur un expert, un notaire par exemple. A l’heure actuelle, mes confrères vignerons me font part des difficultés croissantes qu’ils éprouvent pour trouver de la main d’oeuvre qualifiée et motivée, susceptible de reprendre un jour leur exploitation. Il faut admettre que les métiers de l’agriculture souffrent d’un déficit d’image et de nombreux à priori auprès des jeunes générations qui ont souvent perdu le contact avec la nature. Pourtant, il s’agit de métiers passion qui ont du sens, qui offrent une qualité de vie exceptionnelle et surtout, qui ont bien évolué au cours des dernières décennies. Désormais, ils exigent non seulement des aptitudes physiques, (même si la mécanisation croissante facilite de plus en plus le travail), mais également des qualités intellectuelles pour gérer et organiser la production en utilisant les outils numériques les plus sophistiqués. J’ai deux filles âgées de huit et quinze ans et je fais tout mon possible pour leur communiquer ma passion de la vigne, sans leur cacher les difficultés du métier. J’aimerais évidemment qu’elles reprennent le flambeau dans les meilleures conditions. Cela revêt une importance particulière dans notre secteur d’activité. Car, au-delà des biens matériels, nous transmettons des savoir-faire uniques et un art de vivre exceptionnel. »

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