SUCCESSIONS INTERNATIONALES : DU RÈGLEMENT PRATIQUE AUX ENJEUX JURIDIQUES

« Succession internationale », si pour certains ces deux mots renvoient à une affaire dont l’exceptionnelle médiatisation a malheureusement bien moins porté sur les implications juridiques du dossier que sur le caractère people des intéressés, l’exotisme apparent de la matière n’est aucunement justifié.

Le droit successoral se place au cœur du droit notarial. La rigueur absolue qu’il impose n’est qu’accentuée par l’existence d’un élément d’extranéité pouvant découler de la nationalité du défunt, de sa résidence, ou bien de la présence d’un bien à l’étranger.

La libre circulation des individus à travers le monde explique que cette matière soit en perpétuelle transformation. L’ouverture d’une succession internationale se révèlera ainsi bien souvent pour les praticiens le début d’un cheminement intellectuel nouveau. Dans un contexte international où les nouvelles règles fleurissent et où les décisions de jurisprudence se multiplient, le notaire se doit donc, chaque jour un peu plus, d’agrandir le prisme de ses connaissances.

 

SUCCESSION INTERNATIONALE : QUELLES RÈGLES APPLIQUER ?

Une fois l’élément d’extranéité déterminé, il convient d’effectuer une dichotomie entre le règlement civil et le règlement fiscal du dossier. Les règles applicables au plan civil sont bien plus uniformisées que celles relatives à la fiscalité. En cette dernière matière, l’application des conventions fiscales existant entre chaque pays sera la règle. En l’absence d’une telle convention, les dispositions de l’article 750 ter du Code général des Impôts seront applicables.

En matière civile, la date du décès est fondamentale. Les successions ouvertes avant le 17 août 2015 doivent être réglées conformément au principe scissionniste selon lequel il convient de distinguer selon la nature mobilière ou immobilière des biens successoraux.

Dans ce cas, alors que les successions mobilières sont soumises à la loi du dernier domicile du défunt, le sort des biens immobiliers est géré par la loi de leur lieu de situation. L’application d’une telle règle engendrait souvent un morcellement de la succession qui imposait au notaire d’appliquer plusieurs lois successorales dans un même dossier.

Pour pallier ces difficultés pratiques, le règlement des successions ouvertes à compter du 17 août 2015 est désormais guidé par le Règlement européen n° 650- 2012 du Parlement européen et du Conseil européen du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de succession, et à la création d’un certificat successoral européen. Il est important de souligner que ledit Règlement ne s’applique pas aux matières fiscales, douanières et administratives, et que son applicabilité doit toujours être vérifiée en considération de son champ d’application matériel, spatial et temporel.

La pratique ne peut que saluer l’avancée majeure de ce Règlement, d’application universelle, qui vient notamment poser des règles de détermination de loi applicable à la succession. Le Règlement dépasse les frontières de l’Union européenne, et la loi qu’il désigne s’appliquera quand bien même elle ne serait pas celle d’un état membre. L’une des dispositions clé pour le praticien est posée par son article 21 §1er en vertu duquel « sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’état dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès ».

Cette règle, bien que connaissant des tempéraments, constitue un point de départ solide pour le praticien. Parmi ces tempéraments, on constate que le Règlement européen met l’accent sur le principe de l’autonomie de la volonté. Ainsi, chaque citoyen européen pourra faire de son vivant un choix exprès de la loi applicable à sa succession (loi de sa nationalité). Ce choix s’imposera alors au notaire en charge de son règlement.

Les dispositions du Règlement sont innovantes pour la profession en ce qu’elles apportent des réponses pratiques aux problèmes rencontrés par les notaires lors de la liquidation d’une succession internationale.

 

SUCCESSION INTERNATIONALE : MODE D’EMPLOI

Au début, non explicite vis à vis de sa mise en oeuvre pratique et rédactionnelle, l’un des nouveaux outils qui a été créé par le Règlement est le certificat successoral européen. Des formulaires types sont à la disposition des notaires qui sont en charge de sa délivrance. Ce certificat permet de faire reconnaître la qualité d’héritier dans les autres pays de l’Union européenne à l’exception du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark. Il permet de fluidifier les échanges avec non seulement nos confrères étrangers, mais également avec toutes les administrations et services concernés par la succession. D’une manière pratique, en présence d’une succession internationale, le notaire doit donc commencer par déterminer l’élément d’extranéité, puis appréhender la règle internationale à appliquer. La traduction des différentes pièces du dossier (testament, acte d’état-civil, etc.) devra être demandé   un traducteur assermenté (dont la liste est disponible sur le site de la Cour de cassation). Viendra enfin l’heure de la rédaction des actes. Si le certificat successoral européen est un outil permettant aux clients de faire valoir leur qualité d’ayant-droit dans un pays étranger, le travail du notaire ne s’arrêtera pas là. L’application du « règlement succession » pourra alors avoir pour conséquence l’application de règles successorales étrangères. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à se rapprocher de nos confrères étrangers. Les ambassades possèdent pour nombre d’entre elles des listes de confrères ou professionnels bilingues. Le notaire devra donc s’adapter, et au besoin établir des actes sui generis pour le cas où la législation étrangère prévoit un formalisme particulier inconnu de notre législation.

L’application de règles étrangères n’est pas sans soulever des difficultés qui concernent majoritairement l’application des règles du renvoi, le respect de l’ordre public international, et la fraude à la loi. En pratique, la question se posera donc de la conduite à tenir face à l’application d’une loi étrangère venant mettre en échec l’application d’une règle française considérée comme fondamentale. Pour exemple, la question du respect de la réserve héréditaire est épineuse. Comment réagir face à un dossier dans lequel l’application de la loi étrangère prive un ou plusieurs héritiers de leur réserve ?

 

SUCCESSION INTERNATIONALE : L’ADAPTATION DE LA LÉGISLATION FRANÇAISE

Le notaire ne peut s’exonérer de l’application des règles internationales, non seulement parce qu’elles édictent des règles pratiques relatives au règlement des successions présentant un élément d’extranéité, mais également parce que leur existence fait évoluer nos règles nationales. Nous nous trouvons dans une période charnière et la jurisprudence en la matière est révélatrice de la nécessité d’adaptation des législations nationales aux réglementations internationales, afin, tout en respectant les textes internationaux, de pouvoir sauvegarder les règles internes que chaque pays considère comme des institutions nationales. Pour exemple, par deux arrêts rendus par sa première Chambre civile en 2017, la Cour de cassation a déjà jugé qu’  »une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels » (Cass. 1er civ., 27 sept. 2017, n° 16-17198 et n° 16-13151).

Il est particulièrement intéressant de constater à quel point l’application de ce « règlement succession », fait évoluer notre droit interne.

Ainsi, la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a introduit en France un droit de « prélèvement compensatoire » au profit des enfants pour lesquels les dispositions de la loi étrangère applicable à la succession ne leur garantiraient aucun mécanisme réservataire protecteur. L’article 913 du Code civil prévoit ainsi désormais dans son troisième alinéa que « Lorsque le défunt ou au moins l’un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d’un état membre de l’Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci. »

La mise en oeuvre même de ce nouveau droit de prélèvement n’est pas sans soulever quelques questions pratiques, et sans rappeler que l’étendue de nos devoirs évolue quotidiennement, comme le prouve la nouvelle rédaction de l’article 921 alinéa 2 du Code civil : « Lorsque le notaire constate, lors du règlement de la succession, que les droits réservataires d’un héritier sont susceptibles d’être atteints par les libéralités effectuées par le défunt, il informe chaque héritier concerné et connu, individuellement et, le cas échéant, avant tout partage, de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible  .

Aujourd’hui et encore plus demain, le devoir du notaire se devra de dépasser nos frontières, afin non seulement d’être en capacité de régler des successions internationales, mais également de pouvoir conseiller au mieux les plus globetrotters de nos clients.

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