Envisager sa retraite à l’étranger

Parmi les 3,5 millions de Français résidant à l’étranger, les retraités ne sont pas en reste sur le franchissement des frontières. Pourtant les conséquences patrimoniales liées à l’expatriation sont nombreuses. Quelles implications pour le statut matrimonial ? Quelles conséquences sur le règlement d’une éventuelle succession ? Quelles dispositions fiscales sont applicables ? 

 

Au 31 décembre 2018, 1.802.382 français étaient inscrits sur le registre des français établis hors de France. En réalité, ils sont plutôt 3,5 millions à résider à l’étranger.  L’expatriation concerne, pour 80% des cas, des personnes âgées de moins de 30 ans (plutôt des hommes hautement qualifiés) ayant pour principale motivation le facteur professionnel. Les retraités ne sont pas en reste sur le franchissement des frontières. Cependant, un départ hors du territoire français implique de multiples et fastidieuses démarches : administratives, familiales, financières, sociales… Quelles conséquences patrimoniales cette situation d’internationalisation va générer chez la personne retraitée, seule ou en couple ? Le départ a-t-il été bien préparé ?

 

Conséquences civiles

Un couple de retraités décide de s’installer définitivement à l’étranger : outre la question de l’opportunité de s’unir avant de partir, ces derniers seront certainement très curieux des implications sur leur statut matrimonial ou encore de la loi applicable au règlement de la succession si l’un d’eux venait à décéder une fois établi dans leur nouvel Etat.

 

Conséquences sur le régime matrimonial et le partenariat

Jusqu’alors instable et particulièrement difficile à appréhender, le règlement UE 2016/1103, entrée en vigueur en France le 29 janvier 2019, a apporté de nouvelles dispositions afin de sécuriser et harmoniser la situation juridique des époux.

Il faut désormais distinguer entre ceux mariés avant le 1er septembre 1992, soumis au droit commun d’origine jurisprudentielle, ceux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019, relevant de la Convention de La Haye du 14 mars 1978, et ceux mariés à partir du 29 janvier 2019.

Avant janvier 2019, le plus grand risque pour un couple ayant décidé de s’établir à l’étranger était la mutabilité automatique de la loi applicable à leur régime matrimonial dès lors que les époux vivaient dans un pays depuis plus de 10 ans. Certains époux changeaient ainsi automatiquement, sans autre formalité, de loi applicable à leur régime matrimonial, laquelle était alors celle de leur pays de résidence. Depuis janvier 2019, pour notre couple de retraités, désireux d’emménager à l’étranger juste après leur mariage, il faudra être vigilant : la loi applicable au régime matrimonial étant, à défaut de choix de loi, la loi du premier domicile commun des époux, l’expatriation qui suivrait immédiatement leur mariage en France entrainerait l’application de la loi étrangère locale à leur régime matrimonial.

De même, si aucune convention matrimoniale n’a été régularisée avant leur départ, ils devront, soit confirmer la loi française applicable à leur régime matrimonial en procédant, comme le permet l’article 22 du règlement européen, à la désignation de la loi française (correspondant, au moment de la désignation, à la loi nationale d’au moins l’un des époux ou de la résidence habituelle), soit procéder à une modification de leur régime matrimonial, une fois leur résidence habituelle fixée dans le nouveau pays, si la loi matrimoniale de ce pays leur correspond mieux.

L’article 20 du règlement précise que toute loi désignée « s’applique même si cette loi n’est pas celle d’un Etat membre ». Ainsi, la loi désignée peut être celle d’un Etat membre participant comme celle d’un Etat membre non participant ou d’un Etat tiers à l’UE.

Une loi unique devra être choisie pour l’ensemble des biens. Le règlement consacre un principe d’unité de loi applicable (article 21) : la loi choisie s’applique à tous les biens où qu’ils se trouvent, qu’ils soient situés dans un Etat membre ou dans un Etat tiers (considérant 43). En tout état de cause, dans un contexte international, un contrat de mariage ab initio se révèlera donc plus qu’opportun en termes de stabilité et de sécurité juridique.

 

A présent, qu’en est-il du partenariat ?

Le Pacte Civil de Solidarité dit « Pacs », est un partenariat patrimonial créé en France depuis 1999. Certains pays ont également mis en place des partenariats civils, avec certaines caractéristiques différentes. Il est ainsi tout à fait possible, une fois établi à l’étranger, que nos retraités envisagent de conclure un pacs : que ce soit entre deux nationaux français ou avec une personne étrangère, la déclaration conjointe devra être déclarée auprès du Consulat ou de l’Ambassade de France du lieu de résidence commune. Quant au choix de loi applicable au partenariat, le couple pourra tout à fait choisir le pacs de droit français, ou celui de droit étranger, à condition, bien entendu, que le pays le reconnaisse.

Depuis le 29 janvier 2019, le règlement UE n° 2016/1104 du Conseil du 24 juin 2016 sur les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés est entré en application.

En conférant la faculté aux partenaires (dont le partenariat est enregistré à compter du 29 janvier 2019) de désigner la loi applicable à leur régime patrimonial avant leur partenariat, le règlement sur les EPPE est innovant. Auparavant, l’article 515-7-1 du Code civil ne prévoyait qu’un rattachement unique à la loi de l’Etat d’enregistrement du partenariat.

Lorsque les partenaires ne choisissent aucune loi, le 1er paragraphe de l’article 26 du règlement européen prévoit une règle de rattachement unique : à défaut de choix de loi, les effets patrimoniaux du partenariat sont régis par la loi de « l’Etat selon la loi duquel le partenariat enregistré a été créé ». Le considérant 48 précise qu’il s’agit de la loi de l’Etat d’enregistrement du partenariat, seul rattachement permettant d’éviter l’application d’une loi qui ne connaît pas ou prohibe le partenariat enregistré (comme la Bulgarie, la Lettonie, la Pologne ou encore le Portugal). Il est à noter que les partenaires – comme les époux – peuvent changer « à tout moment » de loi applicable au cours de leur partenariat (enregistrés avant ou après le 29 janvier 2019) qu’ils aient ou non déjà déclaré leur choix pour la loi applicable à leur régime patrimonial (considérant 44).

 

Conséquences sur le règlement de la succession

Une fois installé à l’étranger, il est naturel d’envisager les conséquences sur le règlement de sa succession : quelle loi sera applicable ? quelle juridiction mes héritiers devront-ils saisir ? Le règlement successoral européen, entré en application le 17 août 2015, a harmonisé les règles de compétence et de loi applicable en matière successorale dans les 27 Etats de l’union européenne (à l’exception du Danemark, du Royaume-Uni et de l’Irlande, lesquels conservent leurs propres règles de droit international privé). Le critère principal de rattachement est la loi du pays de la dernière résidence habituelle du défunt, et ce, pour l’ensemble des biens.

Si un retraité français, installé depuis plusieurs années en Espagne, décède dans ce pays, la loi espagnole, loi de sa dernière résidence habituelle s’appliquera pour toutes les opérations successorales (administration, liquidation et partage).

Une exception est néanmoins posée au 2) de l’article 21 si le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui de la dernière résidence habituelle, alors, à titre exceptionnel, il sera fait application de la loi de cet autre Etat. Pour éviter toute surprise dans l’application d’une loi étrangère lors du règlement successoral, il sera fortement conseillé à notre retraité de procéder à la désignation de la loi applicable à sa succession, loi dont il possède la nationalité au jour de la désignation ou lors de son décès : cette déclaration de loi successorale ou « professio juris » devra être formulée de manière expresse (testament ou pacte successoral). Si notre retraité possède la nationalité française et qu’il est en train d’effectuer les formalités pour obtenir la nationalité belge, il pourra tout autant désigner la loi française ou belge pour régir sa succession.

Qu’en sera t-il des formalités à accomplir par les héritiers ? un notaire français peut-il être saisi ?

Tout à fait. Si notre retraité, bien que décédé au Portugal, par exemple, possédait une grande partie de son patrimoine en France, les héritiers pourront mandater un notaire français, lequel sera tout à fait compétent pour formaliser les actes successoraux.

 

Effets de la donation entre époux française 

La donation entre époux, appelée couramment « donation au dernier vivant », est une libéralité prenant effet au jour du décès du donateur, qui permet d’améliorer les droits du conjoint survivant.

Qu’en est-il lorsqu’un époux ou le couple, a régularisé ce type de disposition en France et qu’il s’apprête à emménager à l’étranger ? En effet, cette institution, peu connue hors de France, est souvent prohibée (comme dans certains pays de droit musulman, certains pays d’Amérique Centrale et du Sud ou encore la Pologne, la Roumanie, l’Italie…) car assimilée à un pacte sur succession future. Il est toutefois possible aux parties de désigner la loi applicable à la donation entre époux. Néanmoins, il sera important de veiller à ce que les dispositions contenues dans la donation entre époux et la loi successorale applicable soient cohérentes.

Ainsi, il sera vivement préconisé pour notre retraité établi à l’étranger de privilégier le testament, comme disposition pour cause de mort, que la donation entre époux, inconnue dans la plupart des pays de l’Union Européenne.

 

Opportunités de prendre des dispositions testamentaires à l’étranger 

La convention de La Haye du 5 octobre 1961, entrée en vigueur en 1967, offre désormais un choix élargi en matière de loi compétente aux dispositions testamentaires.  Notre retraité pourra ainsi, avant son départ, établir son testament en France (sous la forme authentique, olographe ou mystique ou même international). Il pourra également, une fois installé à l’étranger, tester conformément aux formes admises par la France, ou prendre des dispositions selon la forme locale. La prudence recommandera de se rapprocher d’un juriste local. Bien que prohibé en France, notre retraité pourra parfaitement réaliser un testament conjonctif avec son conjoint, dès lors que le pays où il sera établi l’admettra. Et il sera reconnu en France conformément aux dispositions de l’article 4 de la Convention de La Haye. Afin de s’assurer de la conservation, l’interprétation et l’exécution de ses dispositions testamentaires, il sera vivement conseillé, pour notre retraité installé à l’étranger, de rédiger clairement – sur les conseils d’un juriste en la matière – un document conservé dans un lieu unique et inscrit sur un registre testamentaire.

 

Conséquences fiscales

Incité par des régimes fiscaux attractifs (comme le Portugal qui exonérait d’impôt sur le revenu – sous conditions – les pensions de retraite pendant 10 ans les Français qui s’y sont établis avant le 1er avril 2020 / depuis, la retraite de source étrangère imposable au Portugal est soumise à une imposition forfaitaire de 10%), la fiscalité personnelle de notre retraité-expatrié constituera une préoccupation majeure. Ce dernier sera également très certainement attentif sur le sujet de la fiscalité des transmissions, par décès ou par voie de donation.

 

Résidence fiscale et fiscalité personnelle

Sur le plan fiscal, la domiciliation d’une personne peut être difficile à déterminer : elle peut, soit disposer de plusieurs logements dans plusieurs pays ou acquitter des impôts dans des Etats différents. La résidence fiscale d’une personne dépend en premier lieu des critères du droit interne de chaque pays. Lorsque la personne est résidente fiscale de deux états en application du droit interne de chacun d’eux, il y a lieu de rechercher la convention fiscale liant ces deux pays, s’il en existe une.

Cette convention fiscale s’impose alors à la loi de chaque Etat. Fondées pour la plupart d’entre elles sur le modèle OCDE, les conventions fiscales conclues par la France conditionnent la qualification de résident au principe de son assujettissement à l’impôt sur les revenus de source mondiale (article 4 alinéa 1er du modèle OCDE). Ainsi, pour prétendre au bénéfice d’une convention fiscale, il faut être assujetti à l’impôt et que l’assiette imposable ne soit pas limitée aux revenus provenant de l’état de résidence.

De manière limitée, certaines conventions ne s’appliquent qu’aux résidents assujettis à l’impôt sur le revenu sur leurs revenus de source mondiale ou au contraire, excluent certaines personnes ayant opté pour un régime d’imposition spécifique (forfaitaire), comme la convention franco-suisse par exemple.

Afin d’encourager certains expatriés à venir résider dans leur pays, certains états ont mis en place des régimes fiscaux de faveur.

Notre retraité expatrié français devra donc être alerte afin de s’assurer de la compatibilité de ces dispositifs de faveur avec l’application de la convention fiscale conclue entre la France et le nouveau pays de résidence.

 

Fiscalité des transmissions à titre gratuit

Chaque pays dans lequel une personne possède des biens ou dans lequel elle est établie conserve, en principe, le droit d’imposer la transmission. Le risque de double imposition est donc réel. Afin de limiter ce risque, la France a régularisé de nombreuses conventions internationales bilatérales avec d’autres pays.

Si notre retraité souhaite procéder à la donation d’un bien situé en France, alors qu’il réside à l’étranger il devra être attentif sur ce sujet fiscal et vérifier, avant toute chose, l’existence ou non d’une convention (et d’éventuels avenants) entre la France et son pays de résidence.

A défaut de convention, la loi nationale de chaque Etat déterminera le régime fiscal applicable à la succession ou la donation.

Plus particulièrement, pour le régime fiscal des successions internationales, une double taxation peut exister, sauf lorsque la France, au moyen d’une convention bilatérale, a prévu l’imputation de l’imposition étrangère sur le montant à régler en France. Ce n’est, pour autant, pas une règle absolue. A la suite du décès à l’étranger de notre retraité, si le pays de résidence n’a pas signé de convention fiscale avec la France, et si l’un de ses héritiers est domicilié en France depuis plus de 6 ans au cours des 10 dernières années avant le décès, l’administration fiscale française pourra imposer l’ensemble des biens détenus par notre expatrié à l’étranger. Le cas échéant, l’imposition payée à l’étranger pourra faire l’objet d’une imputation sur l’impôt dû en France.

En cas de souscription de contrats d’assurance-vie en France (avec versement des primes avant le 70ème anniversaire de l’assuré), la non-résidence du défunt pourra se révéler particulièrement intéressante : lorsque ni l’assuré, ni le bénéficiaire ne sont résidents fiscaux français, aucune imposition ne sera alors due.

 

Et si notre retraité décide de réaliser des donations ?

Si son souhait d’anticipation concerne des biens situés en France, notre retraité devra veiller, là également, à se renseigner sur l’existence, ou non, d’une convention fiscale avec son pays de résidence et la France. A défaut, l’opération de transmission pourra se révéler coûteuse puisque potentiellement imposable en France et dans son pays de résidence, sans possibilité d’imputation de l’impôt réglé dans un pays sur l’autre taxation.

Il sera également important de faire déclarer le bénéficiaire de la donation, si ce dernier, non fiscalement domicilié en France à l’époque de la gratification, entendra y revenir quelques années plus tard : en effet, l’acte de donation établi à l’étranger étant inopposable à l’administration fiscale française, il ne sera pas possible de lui donner date certaine sans avoir procéder à une déclaration auprès de la recette des non-résidents. Enfin, certaines conventions fiscales signées par la France prévoient des dispositions particulières en matière de succession, non transposables en matière de donation. Dans ce cas, le droit commun s’appliquera pour les donations alors que la convention sera applicable pour le cas des successions. La Belgique est un exemple en la matière.

Si notre retraité, qui s’est durablement installé en Belgique, envisage la transmission de ses biens situés en France, mieux vaudra qu’il agisse au moyen d’un legs : alors qu’une donation serait taxée à l’impôt français (sans possibilité d’imputation sur l’imposition belge), la convention franco-belge prévoit, en matière de succession, la taxation des biens immobiliers selon l’imposition de leur pays de situation. Ainsi, la Belgique conservera le droit de taxation dudit legs, mais la convention permettra l’imputation de l’impôt français sur l’impôt dû en Belgique, ce qui évitera une double imposition.   

Un départ à l’international se doit donc d’être bien préparé afin de limiter au maximum les déconvenues et votre notaire se tient bien évidemment à votre écoute sur tous ces sujets d’anticipation patrimoniale.

 

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