LE DANGER DES DONS MANUELS

Avec l’allongement de la durée de vie des ainés, on hérite aujourd’hui en moyenne à l’âge de 50 ans, contre 14 ans au XVIIIe siècle. Cette génération de nouveaux héritiers est déjà bien établie patrimonialement.

Ces quinquagénaires reçoivent les biens de la succession de leurs parents à un âge où leur utilité est moins cruciale. Pour remédier à ce décalage de « timing » dans la transmission, les parents souhaitent souvent permettre à leurs enfants ou petits-enfants de profiter de biens à une période de leur vie où ils en ont le plus besoin. Le don manuel semble souvent une option à la fois pratique, peu coûteuse et discrète. Néanmoins, son usage nécessite des précautions pour que cet outil ne devienne pas l’instrument de la discorde.

 

Qu’est-ce que le don manuel ? 

Le don manuel est constitué par la transmission physique d’un bien de « la main à la main » entre le disposant et le gratifié. Cette forme de transmission est appelée la tradition. Le don manuel a été créé à une époque où le transfert d’un bien par tradition ne posait pas de vrais problèmes pécuniaires. En effet, les biens transmissibles par tradition étaient à l’origine d’une valeur modique comparée à celles des patrimoines immobiliers. Ainsi, le don manuel suit les caractéristiques de fond essentielles des donations classiques. En effet, le don manuel constate un transfert de propriété avec dépouillement irrévocable du donateur au profit du donataire qui accepte, avec intention libérale. Dans cette transmission à titre gratuit, la dépossession doit être immédiate ou tout du moins actuelle, irrévocable et définitive.

La tradition concerne le plus souvent une somme d’argent remise par chèque, par virement ou sous forme de liquidités corporelles (billets, pièces). Toutefois le disposant peut également donner un bien corporel tel qu’une voiture, un bijou, un tableau ou des lingots… Le don manuel est simple d’utilisation car il ne nécessite aucun formalisme particulier. Néanmoins, il est toujours possible de l’accompagner d’un pacte adjoint indiquant des conditions particulières comme la stipulation d’un droit de retour. Cela permet de s’assurer de la connaissance et de la reconnaissance de l’existence de ce don et de ses conditions, lorsque le secret de la transmission n’est pas le but recherché.

 

À ne pas confondre avec la donation déguisée et indirecte

Le don manuel est autorisé tant par le Code civil que par le Code général des impôts. Il ne faut pas le confondre avec les donations déguisées ou indirectes qui ne supportent pas les mêmes conséquences civiles et fiscales. La donation déguisée se caractérise par la dissimulation de l’intention libérale à travers un acte d’apparence à titre onéreux ; il y a volonté de mentir. De son côté, la donation indirecte, ne suppose aucune simulation, mais joue volontairement la carte de l’omission. Démontrer l’appauvrissement reste une chose souvent complexe en pratique, qu’il s’agisse d’un don manuel ou d’une autre forme de donation. Néanmoins, si l’administration fiscale est en mesure de prouver la donation déguisée ainsi que l’existence de manœuvres frauduleuses, des intérêts de retard et pénalités conséquentes seront à prévoir.

 

Le don manuel à ne pas confondre avec le présent d’usage

Le présent d’usage est un cadeau poursuivant un but social, religieux ou familial. Il peut s’agir d’une bague offerte à l’occasion des fiançailles des futurs époux. Le présent est offert lors d’un événement particulier de la vie sociale (anniversaire, Noël, fiançailles, diplôme, baptême, communion, mariage…) et pouvant différer d’une famille à l’autre en fonction des religions, des époques et des coutumes. Il doit être d’une valeur modique, proportionnelle à la situation financière du disposant tout en étant en rapport avec ses habitudes ; tandis que le don manuel ne suppose ni événement ni limite de montant.

Les présents d’usage échappent au régime des libéralités. Ils sont considérés comme des dépenses utiles du disposant et ne sont pas rapportables à sa succession, sauf volonté contraire de ce dernier. Ils ne sont pas non plus récupérables. Le droit fiscal autorise d’ailleurs l’attribution de présents d’usage en dehors de toute taxation afférente aux donations, ce qui n’est pas le cas des dons manuels. 

 

Le don manuel à ne pas confondre avec l’obligation d’entretien des enfants

L’article 852 du Code civil alinéa 2 traite des présents d’usage, et l’alinéa 1er du devoir parental d’entretien. Cette obligation couvre toutes les dépenses nécessaires à l’enfant. Le devoir d’entretien est plus large qu’une obligation alimentaire simple. Elle concerne l’entretien général de l’enfant et s’accompagne du financement de son éducation. Dans cette mesure, le paiement de longues et coûteuses études pour l’un de ses enfants sera comptabilisé par le parent comme le respect de l’obligation légale d’entretien, sauf volonté contraire de ce dernier.

 

Le danger du don manuel au plan civil 

Le don manuel est pratique mais peut se révéler dangereux à plusieurs titres. Il est fondamental que celui qui entend réaliser un don manuel à son cadet afin de compenser le financement des études dispendieuses de son aîné, prenne garde au déséquilibre qu’il est en train de créer. En effet, la dépense de frais d’entretien n’a pas le même traitement civil et fiscal que le don manuel. En voulant rétablir l’égalité mathématique entre ses enfants, le disposant crée en réalité une iniquité de traitement.

Cette iniquité sera sanctionnée par un déséquilibre sur le plan civil entre les parts des deux enfants. Celui ayant bénéficié du don manuel sera désavantagé par rapport à son cohéritier lors du décès du disposant, l’obligeant à rapporter à la succession ce qu’il a reçu.

L’enfant ayant simplement eu des besoins scolaires ou universitaires plus conséquents que son cohéritier n’en devra pas le rapport sauf volonté contraire du parent. Il en est de même pour un parent souhaitant réaliser un rééquilibrage entre un enfant dont il a payé le mariage, en réalisant un don manuel à son autre enfant, célibataire endurci. L’enfant marié sera dispensé de rapport. A contrario, l’enfant célibataire ayant reçu le don manuel sera obligé au rapport et à la réduction si le montant du don dépassait la quotité disponible. Il faut garder à l’esprit que le don manuel est rapportable sauf preuve contraire de la volonté du disposant. Ces deux enfants, sans le conseil avisé du professionnel, et malgré l’envie de bien faire des parents, supporteront une inégalité de traitement. Celui auprès duquel l’égalité a tentée d’être rétablie sera désavantagé. Le don manuel est également souvent utilisé pour avantager de façon occulte un enfant au détriment des autres présomptifs héritiers. La discrétion inhérente à la tradition du bien en fait un usage pour tenter de contourner la réserve héréditaire. La réserve sera ainsi atteinte sans que les héritiers n’en aient connaissance. Au jour du décès, ces derniers devront se partager ce qui subsistera. Or, avec les moyens modernes de communication et la recherche de sécurité des transactions, il est un peu plus facile de tracer les dons manuels. Les biens corporels de valeur conséquente sont généralement identifiés sur des registres spécifiques. Les virements et autres chèques sont quant à eux répertoriés sur les relevés de compte.

Les héritiers ayant des doutes sur l’existence de dons manuels disposeront de moyens de preuve afin de rétablir l’égalité. Il faudra également prouver l’intention libérale, chose moins aisée mais loin d’être impossible. Le donataire « cachotier » encourt la peine de recel successoral avec restitution du bien et impossibilité de s’en faire attribuer une quote part. Ses cohéritiers pourront en outre lui réclamer des dommages et intérêts. De plus, les dégâts sur les relations familiales seront catastrophiques.

Découvrir que l’un de vos parents à sciemment avantagé votre frère ou votre sœur dans le plus grand secret détruira la cohésion familiale pour les années à venir. Il est également plus compliqué de prouver le don manuel de certains biens corporels. Ce fut notamment le cas d’une voiture de sport dans la succession d’un célèbre industriel. Son fils n’a pas pu rapporter la preuve du dépouillement irrévocable de son père concernant le don manuel d’une de ses voitures de course. La preuve de ce don n’ayant pas été rapportée, compte tenu notamment du mode de gestion patrimonial du disposant, le prix très élevé du bien cédé depuis, a été rapporté à la succession.
Outre le conseil sur le fond, le notaire procèdera à un certain nombre de vérifications sur la validité de la donation qui ne seraient pas réalisées lors d’un don manuel. Il pourra s’assurer que le donateur parfois âgé, a bien toutes ses facultés. Il reviendra en effet au professionnel de vérifier, parfois en sollicitant l’établissement d’un certificat médical, que chaque partie est en état de donner son consentement. On évite ainsi la remise en cause du don pour altération des facultés mentales, notamment si une maladie survenait après la transmission du bien. La donation notariée permettra aussi de s’assurer de l’accord de l’époux du donateur s’il s’agit du don d’un bien commun.

Autre aspect du droit civil assez peu connu du grand public : la notion de réévaluation dans le rapport civil. Lorsque le disposant entend donner deux biens de valeurs équivalentes ou deux sommes d’argent de même montant, il entend en réalité maintenir l’égalité entre ses enfants. Or, en l’absence du notaire pour réaliser une donation-partage par acte authentique, les valeurs des biens donnés ne seront pas figées. La valeur des biens corporels changera au cours du temps. Au jour du décès du donateur, les biens seront rééstimés et rapportés fictivement pour leur valeur au jour du décès, et non de la donation. Il en sera de même pour les sommes d’argent. Si ces dernières ont été investies dans un bien tel qu’un immeuble ou un fonds libéral, il y aura réévaluation de la quote part de la somme investie dans le nouveau bien. Ainsi, l’égalité voulue par le donateur ne sera pas maintenue. L’enfant qui a le mieux investi son argent sera pénalisé par rapport à son cohéritier et devra rapporter une valeur plus importante. Ce rapport civil entrainera dans certains cas la réduction de la donation avec la perte économique d’une partie de la valeur du bien donné. L’acte authentique notarié, d’un coût modeste au regard des enjeux, permet d’éviter les conflits familiaux à ce sujet lors de l’ouverture de la succession, ainsi que leurs conséquences fiscales.

 

Quid du risque fiscal ?

Le notaire avertira aussi le disposant et le bénéficiaire des risques fiscaux du don manuel. En ce qui concerne la différence de traitement entre don manuel et obligation d’entretien ou présent d’usage, le droit fiscal a également son mot à dire. L’enfant bénéficiant du versement de type présent d’usage ou obligation d’entretien ne sera pas taxé par le service de l’enregistrement. En revanche celui bénéficiant du don manuel d’une valeur équivalente sera soumis à l’impôt s’il dépasse les abattements prévus par la loi. Même si aucun droit n’est dû suite au versement du don, l’abattement général ou l’abattement spécifique somme d’argent sera entamé. En cas de nouvelle donation ou d’ouverture de succession dans le délai de rappel fiscal de 15 ans, l’abattement déjà entamé par le don manuel sera potentiellement consumé en intégralité, générant ainsi des droits à payer auprès de l’administration fiscale pour le surplus.

Il existe une autre conséquence fiscale au don manuel de somme d’argent si ce dernier est réalisé dans le secret. Les dons de sommes d’argent qu’ils soient manuels ou notariés bénéficient d’un abattement spécifique suivant certaines conditions notamment d’âge et de lien de parenté. Cet abattement d’une valeur de 31 865 euros à ce jour, n’est utilisable qu’en cas de déclaration à l’administration fiscale dans le délai d’un mois maximum suivant le don. Il sera également fondamental de bien préciser sur le formulaire qu’il s’agit d’un don exceptionnel de somme d’argent (art. 790 G CGI). Le donataire qui a reçu le virement ou le chèque de façon clandestine ne pourra pas bénéficier de cet avantage. Dès lors, la découverte a posteriori de ce don déclenchera la taxation sur l’abattement légal de 100 000 euros. Il ne sera plus possible de bénéficier de l’abattement supplémentaire spécifique dons exceptionnels de sommes d’argent de 31 865 euros. Il y aura donc perte d’un avantage fiscal significatif.

De plus, la révélation du don postérieurement à la date de la tradition générera également d’autres conséquences fiscales. La date de la prise en compte du don ne sera pas celle de la remise de la chose mais bien la date de la révélation à l’administration fiscale. Le fait générateur de l’impôt prend naissance au jour de la révélation, que cette révélation soit spontanée, par reconnaissance judiciaire ou suivant découverte par les héritiers postérieurement au décès. Si le don a eu lieu 20 ans avant la révélation, et que cette révélation a lieu au jour du décès du disposant, le donataire subira à la fois le rapport civil et possiblement la peine du recel successoral, mais également le rappel fiscal à la date du décès. Ne pouvant bénéficier du renouvellement de l’abattement tous les 15 ans, il perdra le bénéfice des premiers 100 000 euros et sera ainsi taxé le jour du décès de son auteur sur le montant de sa donation ainsi que sur la part reçue dans la succession du disposant. Le cumul des deux montants accroît le risque de payer des droits de succession. Le disposant, en voulant avantager l’un de ses présomptifs héritiers, risque en définitive de le pénaliser lors de son décès. 

Afin d’éviter les nombreux écueils du don manuel tout en profitant pleinement des avantages de la transmission anticipée, il est opportun et utile de se rapprocher de son notaire. Celui-ci pourra aiguiller les parents sur la meilleure stratégie à adopter compte tenu de leur situation patrimoniale et familiale. 

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