TRANSMISSION D’ENTREPRISE FAMILIALE : PACTE DUTREIL ET SOCIÉTÉ HOLDING

Le pacte Dutreil, instauré par la loi du 1er août 2003, est un outil permettant aux dirigeants d’optimiser la transmission de leur entreprise tout en préservant l’équité familiale. Comment mettre en place ce dispositif Dutreil ? Quels engagements doivent être souscrits ? Avec quels dispositifs peut-on cumuler le pacte Dutreil ? Décryptage. 

Après plusieurs années d’exercice professionnel, certains dirigeants d’entreprise se questionnent sur les modalités de transmission à titre gratuit de tout ou partie de leur société à l’un ou plusieurs de leurs enfants, notamment lorsque tous ne désirent pas en devenir les repreneurs. Cette transmission à titre gratuit pourra également se conjuguer avec une cession à titre onéreux du surplus des titres sociaux afin de permettre au dirigeant de financer sa retraite.

Malgré une lourde fiscalité en France, les dispositions fiscales en matière de transmission d’entreprise s’avèrent être plutôt favorables aux contribuables, notamment depuis la « loi Dutreil » du 1er août 2003. Ce dispositif constitue en effet un régime de faveur spécifique à la transmission d’entreprise par donation ou succession, permettant de bénéficier d’une exonération des droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 % de la valorisation de l’entreprise. Ainsi, l’assiette taxable d’une société évaluée à 1 000 000 euros ne sera plus que de 250 000 euros. Applicable aux entreprises exploitées sous la forme sociétaires (conformément à l’article 787 C du Code général des impôts), mais également à celles individuelles (conformément à l’article 787 B dudit Code), notre étude ne portera que sur les premières.

 

Comment mettre en place ce « dispositif Dutreil » afin d’optimiser fiscalement la transmission d’une société familiale tout en préservant une certaine équité au sein de la fratrie ?

Le montage proposé se décompose de la manière suivante : le chef d’entreprise consent une donation-partage portant sur les titres de sa société au profit du repreneur, à charge pour ce dernier de verser une soulte à ses frères et sœurs. Cette dernière étant financée par un emprunt remboursé grâce aux dividendes versés par la société transmise après avoir subi une double imposition (impôt sur les sociétés au niveau de la société et impôt sur le revenu ou le prélèvement forfaitaire unique au niveau de l’associé), la capacité de remboursement du repreneur sera fortement amputée par la charge fiscale pesant sur les dividendes distribués. Une solution, reposant sur la technique du Leverage buy out, se trouvera donc dans l’apport par le repreneur desdits titres à une société holding, qui se substituera à lui dans le paiement de la soulte.

Revenons sur chaque étape de ce montage sous forme de question/réponse afin d’en clarifier la mise en place et d’en vérifier la compatibilité avec le régime « Dutreil ».

 

Quel support à la transmission des titres sociaux ?

La donation-partage est l’instrument juridique idéal de l’anticipation successorale permettant au disposant d’organiser de son vivant la transmission de son patrimoine en composant les lots de ses héritiers, tout en figeant leur valeur. Le chef d’entreprise transmet ainsi tout ou partie des titres de son entreprise à l’un de ses enfants pour leur valeur au jour de la donation, sans que la plus-value éventuellement dégagée après cet événement ne soit prise en compte dans les rapports entre cohéritiers au jour de son décès. Pour autant, et afin de bénéficier de cet avantage de fixation des valeurs des titres, il est impératif que l’ensemble des héritiers présomptifs consente à l’acte de donation.

Dans l’hypothèse où les cohéritiers ne souhaiteraient pas se voir attribuer des titres de société ou que le chef d’entreprise n’aurait pas d’autres biens à leur transmettre, une donation-partage avec soulte sera régularisée. Les titres de société seront ainsi attribués au repreneur à charge pour lui de désintéresser ses frères et sœurs par le paiement d’une soulte afin de préserver une équité au sein de la fratrie. La transmission par donation pourra avoir lieu en pleine propriété ou avec réserve d’usufruit. Pour autant, dans cette seconde hypothèse, les statuts devront limiter le droit de vote de l’usufruitier aux décisions portant affectation des bénéfices afin de ne pas remettre en cause le régime Dutreil.

 

Quelle(s) activité(s) la société doit-elle exercer ?

La société dont les titres sont transmis doit exercer pendant toute la durée des engagements Dutreil une activité professionnelle, à savoir une activité commerciale, libérale, agricole, artisanale ou industrielle. Les activités civiles sont donc exclues, y compris les activités de gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier, tel que précisé par la dernière loi de finances.

En présence d’une société exerçant une activité mixte, à savoir une activité éligible et une activité civile, la première doit être prépondérante afin de bénéficier du dispositif Dutreil. Pour apprécier cela, la doctrine administrative admet qu’« une société exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de façon prépondérante lorsque le chiffre d’affaires procuré par cette activité représente au moins 50 % du montant du chiffre d’affaires total et que la valeur vénale de l’actif brut immobilisé et circulant de cette activité représente au moins 50 % de la valeur vénale de son actif brut total » (BOI-ENR- DMTG-10-20-40-10, n° 20).

 

Quels engagements doivent être souscrits ? Par qui et quand ?

Engagement collectif ou unilatéral de conservation : L’engagement collectif de conservation doit être souscrit pour une durée de deux ans minimum, par au moins deux associés, détenant au minimum 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote lorsque la société n’est pas cotée ou 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote lorsque la société est cotée. Au moins l’un d’eux doit exercer une fonction de direction dans la société à compter de la signature du Pacte Dutreil et jusqu’au jour de la donation. Cet engagement de conservation peut être également unilatéral dès lors que le souscripteur respecte les seuils minimaux précités et qu’il exerce une fonction de direction au sein de la société. Qu’il soit collectif ou unilatéral, l’engagement devra être formellement signé par le ou les associés concernés, par exemple aux termes des statuts de la société.

En l’absence de tels engagements écrits, il est toutefois possible de se prévaloir d’un engagement collectif de conservation réputé acquis, c’est-à-dire d’un engagement n’ayant pas été constaté par écrit antérieurement à la transmission. Pour cela, le donateur seul, ou avec son conjoint, partenaire ou concubin notoire devra détenir depuis plus de deux ans les titres de la société conformément aux seuils minimums légaux visés ci-dessus et exercer une fonction de direction au sein de la société.

Engagement individuel de conservation : Le et les bénéficiaires de la donation sont tenus de prendre l’engagement individuel de conserver les titres reçus pendant au minimum quatre ans. Cet engagement commence à courir à compter de l’expiration de l’engagement collectif/unilatéral de conservation ou à compter de la donation en présence d’un engagement collectif de conservation réputé acquis. Quelle que soit l’hypothèse, l’engagement doit être souscrit dans l’acte de la donation. Une dénonciation de l’engagement collectif/unilatéral de conservation s’imposera s’il a plus de deux ans et est toujours en cours au jour de la donation. S’agissant des donations avec réserve d’usufruit, seul le nu-propriétaire souscrira l’engagement individuel.

Engagement individuel d’exercice d’une fonction de direction : L’auteur de la transmission ou l’un des bénéficiaires doit prendre l’engagement aux termes de l’acte de donation d’exercer une fonction de direction au sein de la société pendant trois ans à compter de la donation. Précision ici faite que la doctrine admet désormais que la société soit codirigée par le donateur et le repreneur.

Attention au respect des obligations déclaratives : Le bénéficiaire de la transmission devra adresser au service des impôts, avec la copie de l’acte contenant l’engagement de collectif/unilatéral de conservation, une attestation de la société indiquant que les héritiers ont bien souscrit chacun l’engagement individuel de conservation de quatre ans. Une seconde attestation sera à fournir afin de certifier que les engagements individuels de conservation et l’engagement d’exercice d’une fonction de direction ont bien été respectés pendant toute leur durée, à savoir trois et quatre ans minimum.

Le régime Dutreil reposant sur ces engagements de conservation, l’auteur de la transmission et ses bénéficiaires devront prêter une sérieuse attention à leurs respects. 

 

L’apport des titres à la société holding ne remet-il pas en cause le régime « Dutreil » ?

L’apport des titres concernés par les engagements « Dutreil » étant expressément prévu par la loi, il ne remet pas en cause cet avantage fiscal. Pour autant, certaines conditions cumulatives doivent être respectées, à savoir :

  • La valeur de l’actif brut de la société holding doit être composée de plus de 50 % de participation dans la société dont les titres ont bénéficié de l’exonération, pendant toute la durée des engagements.
  • Les 3⁄4 au moins du capital et des droits de vote de la holding doivent être détenus par les donataires au cours de l’engagement individuel de conservation.
  • La société holding doit être dirigée par l’un des donataires au cours de l’engagement individuel de conservation.
  • La société holding doit prendre l’engagement de conserver les titres apportés jusqu’au terme des engagements Dutreil.
  • Le bénéficiaire de l’exonération, désormais associé de la holding, doit conserver les titres de la holding jusqu’au terme des engagements Dutreil.

 

Quel est le coût de cet apport ?

Alors que les titres apportés à la holding par le repreneur à hauteur de ses droits dans la donation sont exonérés de droit d’apport, le surplus, correspondant aux titres à hauteur de la soulte due par le repreneur, sera assujetti aux droits de mutation des titres sociaux, à savoir 0,10 % en cas d’apport d’actions et 3 % en cas d’apport de parts sociales. Aucun impôt sur la plus-value ne sera dû, les titres ayant la même valorisation qu’au moment de la donation.

 

Avec quels dispositifs peut-on cumuler le Pacte Dutreil ?

Le Pacte Dutreil sera susceptible de se cumuler avec d’autres dispositifs fiscaux suivant les situations, tels que l’abattement de 300 000 euros en cas de donation à un salarié (prévu à l’article 790 A du Code général des impôts), la réduction des droits de mutation de 50 % en cas de donation par un chef d’entreprise de moins de 70 ans (prévue à l’article 790 du même code) ou encore l’abattement de 100 000 € en cas de donation à un enfant (prévu à l’article 779 du même code).

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