PHILANTHROPIE ET OPTIMISATION FISCALE

Il est fréquent que nous soyons consultés par une clientèle désireuse de conseils utiles en matière de transmission patrimoniale. La présente note n’a bien entendu pas la prétention de traiter l’ensemble des problématiques auxquelles nous sommes confrontés mais à cibler plus spécifiquement le cas de Monsieur Jean Dupont, célibataire sans descendance, qui a poussé la porte de notre Office, éprouvé au lendemain du grave incendie ayant affecté Notre-Dame de Paris.

Monsieur Jean Dupont s’est présenté à nous, soucieux de concrétiser son désir de philanthropie en contribuant à sa manière à la reconstruction de notre cathédrale. Consentir un legs au pro- fit de la Fondation de France est devenu pour lui une évidence. Pour autant, il ne souhaite pas oublier son vieil ami, Paul Durand, qui l’a notamment activement sou- tenu ces dix dernières années dans sa maladie.

VOICI LA RETRANSCRIPTION DE NOS ÉCHANGES :

QUESTION DE MONSIEUR JEAN DUPONT : Dans quelle mesure puis-je disposer de mon patrimoine ?

Réponse de l’Étude : Étant célibataire sans descendance, vous n’avez aucun héritier dit « réservataire ». En outre et en l’absence de parent vivant et de frère ou de sœur vivant(e) ou représenté(e), les éventuels biens que vous auriez pu recevoir par donation ou héritage de vos parents ne feront pas retour à votre « famille ». Vous êtes donc parfaitement libre de disposer de votre patrimoine.

QUESTION DE MONSIEUR JEAN DUPONT : Est-il nécessaire de prendre des précautions ?

Réponse de l’Étude : À défaut d’anticipation, le Notaire qui sera en charge de votre succession devra probablement recourir aux services d’un généalogiste afin de retrouver l’ensemble de vos héritiers légaux. Si vous êtes désireux de transmettre votre patrimoine à des personnes de votre choix, la rédaction d’un testament s’imposera.

1/ Quant au contenu :

Vous souhaitez manifestement gratifier tant une fondation ayant pour but la préservation de notre patrimoine qu’une personne physique ne présentant aucun lien de parenté avec vous. Il me semble tout d’abord judicieux de vous alerter sur l’importance d’identifier dans votre testament un légataire universel de confiance, ayant vocation à recueillir votre succession.

À défaut, les bénéficiaires de votre testament se verraient contraints de solliciter de vos héritiers légaux la délivrance de leur legs au risque d’être confrontés à un refus de coopération de leur part, voire à une contestation du testament. Vous pourriez notamment désigner la fondation en cette qualité ce qui la placerait en position de force pour gérer, administrer et disposer de votre patrimoine successoral. Elle sera notamment l’interlocuteur privilégié du Notaire chargé de la succession. Concernant votre souhait d’apporter votre soutien à la reconstruction de notre belle cathédrale, il conviendra de vérifier au préalable que la structure que vous envisagez de gratifier soit habilitée à recevoir des legs.

Je vous recommande donc de prendre tous renseignements utiles auprès du service juridique de la fondation sur sa capacité à recevoir les legs, sur son type de gouvernance, sur son rapport d’activité et sur ses projets.

2/ Sur la forme :

Un testament écrit, daté et signé de votre main pourrait tout à fait être valable mais par précaution et afin de couper court à toute contestation future, je privilégierais un testament authentique en présence d’un Notaire et de deux témoins ou, à défaut de témoins, en présence de deux Notaires.

QUESTION DE MONSIEUR JEAN DUPONT : Concernant la fiscalité, pouvez-vous me dire « à quelle sauce mes légataires vont être mangés » ?

Réponse de l’Étude : Il faut distinguer le sort :

A/ de la fondation que vous souhaitez gratifier :

Sont en principe exonérés de droits les organismes visés à l’article 795 du Code général des impôts, soit : • les associations ou fondations

reconnues d’utilité publique ayant pour objet une œuvre scientifique, culturelle, artistique, d’assistance ou de bienfaisance, de défense de l’environnement, de protection des animaux,

• les associations simplement déclarées ayant pour objet la recherche médicale,

• les associations d’enseignement supérieur,

• les fondations universitaires et partenariales,

• les associations cultuelles,

• les fonds de dotation.

Les autres organismes seront taxés de la manière suivante :
• taxation au taux de 35 % jusqu’à

24 000 € et taxation au taux de 45 % au-delà si reconnaissance d’utilité publique,

• taxation à 60 % si absence de reconnaissance d’utilité publique. Je vous invite donc à interroger directement le service juridique de la fondation mais il est fort probable qu’elle soit totalement exonérée.

B/ de Monsieur Paul Durand que vous ne voulez pas oublier :

Compte tenu de l’absence de tout lien de filiation entre vous, la taxation sera très lourde : 60 % sur la valeur de l’actif transmis.

QUESTION DE MONSIEUR JEAN DUPONT : En effet, voilà un point que je n’avais pas anticipé. Pensez-vous pouvoir « réduire la note fiscale » ?

Réponse de l’Étude : Il n’existe pas de remède miracle mais le recours au legs universel au profit d’une fondation exonérée à charge de délivrer un legs net de frais et droits au profit d’une tierce per- sonne me semble adapté à votre situation.

Cette technique devrait vous per- mettre de transmettre une partie de votre patrimoine à Monsieur Paul Durand avec une fiscalité allégée tout en réalisant votre acte de philanthropie.

Il s’agit de prévoir dans le legs universel consenti à la fondation une charge consistant à lui imposer de remettre un legs à titre particulier libre de frais et de droits de suc- cession à votre ami.

À titre d’exemple : si vous léguez directement à ce dernier 100 000 €, il recevra 40 000 € après paiement des droits de succession évalués approximativement à 60 000 €. En revanche, si vous léguez la même somme à la fondation bénéficiant d’une exonération au titre des droits de succession, avec pour charge de remettre 40 000 € à ce même ami, la fondation recevra 100 000 € sans impôt, puis paiera les droits au taux de 60% sur les- dits 40 000 € qu’elle transmettra à son tour à ce même ami, soit une transmission à 24 000 €. L’économie fiscale s’élève à 36 000 €. In fin, votre ami aura reçu ses 40 000 € et la fondation 36 000 €.

Je recommande toutefois la plus grande vigilance sur le recours à cette technique. Il me semble difficile d’envisager une trans- mission de l’intégralité de votre patrimoine sur ce fondement. L’administration fiscale pour- rait être fondée à contester votre intention philanthropique et à déceler un but exclusivement fiscal dans l’opération.

Cette prudence devra être accrue compte tenu de la nouvelle procédure spécifique d’abus de droit par fraude à la Loi codifiée au nouvel article L 64 du Livre des procédures fiscales qui permettra à l’administration fiscale de déclarer inopposable tout acte qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, aurait pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales.

QUESTION DE MONSIEUR JEAN DUPONT : Je l’entends bien, mais alors où placer le curseur pour ne pas tomber dans l’abus de droit ?

Réponse de l’Étude : Je précise à titre liminaire que la prise en charge par la fondation des droits de succession dus sur le legs à titre particulier consenti au profit de votre ami n’a pas pour effet d’augmenter la valeur de ce même legs, ni, par conséquent, l’assiette de l’impôt. D’où l’intérêt fiscal d’y avoir recours.

Toutefois et pour éviter toute contestation émanant de l’administration fiscale sur le fondement d’un abus de droit, je préconise de respecter le raisonnement suivant :

• avec un taux d’imposition au titre des droits de succession de 60 %, le légataire personne physique gratifié de 100 000 € brut aurait reçu 40 000 €, soit 40 %.

• s’il reçoit la même somme par la délivrance d’un legs net de droits, il ne perd rien et ce qui est gagné sur la fiscalité peut profiter à la « philanthropie ».

Pour conclure, je pense que les personnes physiques taxables à 60 % ne doivent pas recevoir plus de 40 % du patrimoine successoral par cette technique. Au-delà de ce ratio, votre ami s’exposera à un risque sérieux de redressement fis- cal sur le fondement d’un abus de droit.

Frédéric BETOUS notaire à Bordeaux.

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