La renonciation comme moyen de transmission

Le terme « renonciation » en droit patrimonial fait immédiatement penser à la renonciation à une succession déficitaire. Mais la renonciation sous toutes ses formes a été repensée par le législateur en 2006 avec pour objectif affiché de l’ériger en tech- nique de transmission patrimoniale. Il faut cependant passer le cap de la dimension affective de la renonciation. Pour beaucoup, renoncer à la succession d’un parent est synonyme d’abandon, d’abdication, et reste contraire au respect de la mémoire du défunt. Mais une fois ce cap franchi, s’ouvrent à nous de multiples possibilités d’anticipation et de transmission du patrimoine, et notamment avec des techniques de renonciations avant décès, beaucoup plus faciles à envisager émotionnellement parlant.

1. La renonciation post mortem : stratégie patrimoniale de l’ayant-droit

Il s’agit de renoncer pour l’ayant-droit à ses droits dans la succession du de cujus. Elle peut avoir un véritable but de transmission, aidée par des mesures fiscales adaptées, car la loi admet la représentation successorale de l’héritier renonçant. L’option successorale devient alors un instrument de stratégie patrimoniale. Les limites à la « renonciation transmission » sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, renoncer à une succession bénéficiaire n’est pas encore naturel dans l’esprit du néophyte. Mais il revient alors au professionnel de l’éclairer sur les avantages de la renonciation transmission. Ensuite, le renonçant s’attend souvent à pouvoir renoncer « pour partie » à la succession. Or, cela ne fait pas partie des options succesorales. Le renonçant renonce à tout… ou à rien ! Enfin, la renonciation ouvre seulement le droit à représentation des ayants-droit du renonçant. Si les successions ab intestat sont soumises à la règle de l’indivisibilité de l’option, le cantonnement, renonciation partielle, est possible dans une succession pour le conjoint survivant, dans le cas où il bénéficie d’une donation entre époux par exemple, et pour le légataire.

La renonciation au bénéfice d’une assurance-vie, qui peut être également considérée comme une renonciation partielle, peut devenir un choix stratégique. Mais cela sup- pose une rédaction sur mesure de la clause bénéficiaire du contrat, ce qui est rarement le cas. Les renonciations exercées au moment de l’ouverture de la succession sont souvent peu réfléchies car décidées dans l’urgence du règlement de la succession, dans un contexte de deuil, et en fonction des dispositions prises souvent unilatéralement par le défunt. Il ne peut être qu’opportun d’anticiper la transmission de son patrimoine.

2. Les renonciations ante mortem : stratégie patrimoniale autour du pacte familial

La réforme de 2006 a permis d’envisager de nouvelles stratégies. La volonté de celui qui transmet devient incontournable. Mais l’accord de l’héritier réservataire est toujours nécessaire.

Inventaire des possibilités :
– La donation-partage transgénérationnelle. Il s’agit en fait d’un saut de génération. L’ascendant peut désormais partager ses biens entre ses enfants et leurs descendants. Si tous les codonataires doivent être des descendants du donateur, ce dernier n’est pas tenu de tous les allotir. L’enfant qui s’efface au profit de ses propres enfants doit cependant donner son accord. Et c’est en cela que la donation-partage transgénérationnelle peut être considérée comme une renonciation ante mortem. L’enfant « pivot » entre la génération précédente (le donateur) et la génération suivante (le donataire) renonce au(x) bien(s) attribué(s) à ses descendants. La donation-partage repose ainsi sur deux successions à venir, et autant d’anticipations successorales.

– La renonciation anticipée à l’action en réduction (RAAR). La réserve héréditaire est la part des biens du disposant réservée à ses héritiers (en ligne directe ou à son conjoint). C’est une limite au pouvoir de disposer. Si cette réserve est atteinte, l’héritier réservataire peut demander une indemnité de réduction à ceux qui ont bénéficié des largesses de son ascendant.

Mais cet héritier peut renoncer, par anticipation du vivant de son auteur, à demander cette indemnité. Cette renonciation peut s’opérer de façon partielle et temporaire, ne s’agissant alors que d’un report sur un autre bien ou un report dans le temps (articles 924-4 et 1527 alinéa 3 du code civil), mais aussi d’une façon générale et définitive, au profit d’une ou plu- sieurs personnes déterminées. C’est la renonciation anticipée à l’action en réduction (la RAAR). Elle est sans incidence sur l’option successorale future.

– Le pacte de famille : il s’agit d’utiliser tous les outils patrimoniaux pour établir une « loi familiale », pour s’accorder sur les conditions de transmission et déroger, si nécessaire, à certaines règles de la réserve héréditaire. Le but peut être de privilégier la volonté du disposant, protéger un membre particulier de la famille, ou encore transmettre un patrimoine professionnel.

L’ingénierie patrimoniale de transmission demande une étude complète de la situation familiale et patrimoniale.

Par Anne GOEBEL-GILAVERT, notaire à Floirac.

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