GéNéRATION NUMÉRIQUE

Nouveau bureau, réformes, numérique, congrès, le nouveau Président de la Chambre des Notaires, Maître Matthieu Vincens de Tapol fait le point sur l’actualité des notaires en Gironde.

Échos Judiciaires Girondins : Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir représenter vos pairs ?

Matthieu Vincens de Tapol : « Le sentiment qui m’anime, c’était de rendre à la profession ce qu’elle m’a offert. C’est un travail qui stimule beaucoup intellectuellement, qui occupe ma vie depuis plus de vingt ans Les journées passent très vite. On a énormément de travail et à un moment, il faut savoir s’arrêter pour essayer de donner cette envie aux autres. Et ça passe par une entrée dans les instances où on va s’occuper de la profession de manière plus large. »

EJG : Pouvez-vous nous décrire votre parcours ?

M. V. de T.:«Je suis né à Pessac. Et mon étude est à Pessac. J’ai fait des études de droit à Bordeaux jusqu’en licence, puis je suis parti faire un diplôme de juriste franco-allemand à la Humboldt Universität de Berlin. C’était 4 ans après la chute du mur, on était la première génération d’étudiants Erasmus. C’était passionnant parce que Berlin-Est était dans son état d’après-guerre. La ville était en pleine mutation. La vie universitaire complètement différente de celle de Bordeaux. Il y avait une grande vivacité artistique. Cette année a marqué ma vie. Ensuite, je suis revenu à Bordeaux. Après ma maîtrise de droit franco-allemand, j’ai fait un DESS de droit notarial. »

EJG : Quand vous avez commencé le droit, vous aviez déjà l’idée d’être notaire ?

M. V. de T.:«Avocat ou notaire! Mon père était notaire, mais ce n’était pas la priorité quand j’ai commencé mes études. Ensuite, les matières m’ont intéressé. Après mon master 2, je suis parti faire mon service militaire en Polynésie. C’est aussi de belles années pour des raisons différentes. J’ai appris qu’il y avait une autre manière de vivre, une autre notion du temps, de la douleur, de la vie et ça m’a pas mal enrichi. En rentrant à Bordeaux, j’ai commencé les stages et ma carrière. J’ai été nommé notaire à 29 ans. Aujourd’hui, j’ai 3 associés qui sont un peu plus jeunes que moi et 26 collaborateurs. Dans quelques mois, ça fera 20 ans que j’exerce ce métier ! »

EJG : Comment vous organisez-vous entre votre étude et votre présidence la Chambre ?

M. V. de T. :«J’ai pu réunir une équipe autour de moi qui est à l’image de la compagnie : jeune et mixte. On a atteint la parité homme-femme en 2020. On a des gens de grande valeur, notamment des femmes de grande valeur. À la Chambre, 13 permanents salariés font des opérations d’accueil, de secrétariat et d’organisation pour tenir tout le cadre réglementaire On a 21 notaires élus qui donnent de leur temps. Une fois par mois, on a une réunion de la Chambre pour que je fasse un point sur l’activité, eux posent des questions tac- tiques, font remonter le ressenti des troupes. Comme on est très sollicités pour faire des conférences, pour participer à des sujets de réflexion, je délègue aux autres membres. En tout, je passe entre 1 à 3 jours par semaine à la Chambre. C’est un poste qui se prépare. J’en avais discuté avec mes associés parce que ça crée une surcharge de travail pour eux. Et c’est aussi un projet familial. Ça fait l’objet aussi d’une discussion parce qu’on sait qu’il y a un certain nombre de soirées qui vont être consacrées à sa profession et un peu moins à ses proches ou à ses clients. C’est un choix, mais qui est un choix partagé. »

« J’ai pu réunir une équipe autour de moi qui est à l’image de la compagnie : jeune et mixte »

EJG : Comment a évolué la profession ?

M. V. de T. : « Comme toutes les professions qui manient beaucoup d’informatique. Aujourd’hui, il faut savoir que 98 % des contrats que nous signons sont dématérialisés, et qu’on signe des contrats sans limite de montant sur des tablettes. Donc, ça, c’est une vraie révolution parce que ça a changé la méthode de réception, de conservation des actes et de communication avec les clients. Ce qui a aussi beaucoup changé, c’est l’immédiateté. On est dans un métier de réflexion. Et pourtant, aujourd’hui, on nous réclame une réponse immédiate. Mais tous les problèmes qui nous sont posés ne peuvent pas être résolus comme ça en quelques minutes par e-mail, parce que les situations sont plus complexes, parce que le droit, c’est une partie d’échecs. Quand vous bougez un pion à un bout de l’échiquier, ça va avoir des conséquences extrêmement importantes qu’on ne mesure pas immédiatement. »

EJG : Comment se porte la profession après cette période difficile ?

M. V. de T. :«D’un point de vue économique, la Gironde reste extrêmement attractive. D’abord parce que c’est un bassin d’emplois important, ensuite, parce que la qualité de vie est réputée douce. On a des services publics de très haut niveau, c’est un département touristique, il y en a pour tous les goûts. Les Français qui sont très mobiles, ont bien conscience de la qualité de vie exceptionnelle. Du coup, l’activité économique est extrêmement soutenue. À la sortie du premier confinement, l’activité immobilière a été exceptionnelle, alors qu’au niveau national, certains parlaient de la possibilité d’une crise immobilière. Mais on sent bien qu’il y a une forte tension dans la population, liée à la crise sanitaire. On sent beaucoup de susceptibilité, comme s’il y avait moins de barrières dans les rapports humains. Ça crée des tensions supplémentaires sur le métier. »

EJG : Le marché de l’immobilier est toujours en croissance ?

M. V. de T. : « On a toujours des niveaux très soutenus. On a un marché qui est très girondin avec seulement 7 % de Franciliens et 7 % du reste de la France. Donc plus de 80 % sont des transactions giron- dines. Et 40 % de ces transactions se font dans la même ville ; c’est celui qui habite à Bordeaux qui veut acheter un appartement plus calme après le confinement ; celui qui veut un balcon ou celui qui en avait un et qui veut maintenant un jardin… Donc on a des gens qui sont bien dans leur vie, mais qui veulent changer d’habitat. En moyenne, les acquéreurs de maisons vont rester propriétaires 7 ans, et c’est très court. La mobilité et le fait que le marché soit actif sont aussi des preuves de confiance dans le département. Même si le marché est à des niveaux élevés, les acquéreurs ont toujours le sentiment que ça reste un marché premium, qu’ils réussiront toujours à revendre. »

EJG : Ce courant de personnes qui quittent la ville pour la campagne, c’est réel ou c’est un phénomène assez mineur ?

M. V. de T. : «Ce n’est pas un phénomène mineur parce qu’à la sortie du premier confinement, la très grande majorité des biens qui étaient à vendre dans les zones rurales se sont vendus. L’été suivant, les gens ont eu besoin de respirer, ils bougent découvrent de nouveaux endroits. Après, dire que c’est un phénomène récurrent, je n’en suis pas sûr. Mais certainement que les gens sont allés chercher de l’espace. Le prix des terrains à bâtir a progressé, notamment dans toute la zone du nord- Gironde, comme entre Carcans et Naujac. Avec le développement des transports doux, les gens se pro- jettent autrement. Ils ont imaginé une autre vie. »

EJG : Vous avez continué à travailler pendant le premier confinement ?

M. V. de T. : « On n’a jamais arrêté, tous les jours, 7 jours sur 7 ! On tenait les dossiers à bout de bras, parce qu’il fallait qu’on rédige des avenants aux ventes immobilières ; l’administration fiscale n’avait pas suspendu le paiement des droits de succession, et donc les dossiers devaient se poursuivre pour éviter le règlement de pénalités, obtenir des déblocages de fonds céder des titres, signer les actes, quand bien même tout le monde était confiné. »

EJG : Vous et vos collaborateurs étiez en télétravail ?

M. V. de T. : « Sur les 26 collaborateurs, on en avait 13 en télétravail pour assurer les charges courantes. 4 se relayaient au bureau pour que la jauge en présentiel soit respectée parce que certaines missions ne pouvaient pas être exécutées en télétravail. Cela nous a permis de reprendre notre activité à un rythme normal dès la fin du confinement. Mais ça a été évidemment une perte d’activité générée comme beaucoup d’entreprises. »

EJG : Ça a laissé des traces sur votre manière de travailler ?

M.V.deT. :«On était déjà en signature électronique depuis une dizaine d’années, donc sur ce point-là, ça n’a pas tellement changé. On avait déjà mis en place toute la gestion dématérialisée des demandes avec Bordeaux Métropole. Le changement, c’était le volume des gens qui sont passés en télétravail dans des entreprises qui n’étaient pas organisées pour ça. Mais je dirais que ça s’est bien passé. C’est sûr que maintenant, on a une vision un peu différente du télétravail, tout le monde y a goûté, mais on s’aperçoit aussi qu’il ne convient pas à tous. Certains ont besoin de travailler en équipe, d’autres n’ont pas les bonnes conditions – en termes de place, ou familiales – pour travailler à la maison… Et puis, il y a des gens qui ont besoin de communiquer, d’échanger. On s’aperçoit qu’on va peut-être parler d’un sujet pendant 2 minutes et ça va débloquer plein de choses. »

« Le droit est une partie d’échecs. Bouger un pion peut avoir des conséquences extrêmement importantes qu’on ne mesure pas immédiatement. »

EJG : Quels sont les grands axes de votre mandature ?

M. V. de T. : « L’axe numéro un, c’est l’intégration des jeunes notaires, puisqu’un tiers a moins de 3 ans d’exercice. Ils sont arrivés à la suite du tirage au sort institué par la loi Macron. On a un cadre réglementaire assez strict, qui s’explique parce que l’État nous a confié une parcelle de son autorité publique, en nous autorisant à faire des actes qui ont la même force qu’un juge- ment. On doit respecter des règles précises vis à vis de notre autorité de tutelle, le ministère de la Justice. Et ensuite parce qu’il existe une solidarité financière entre tous les notaires de France en cas de sinistre. Notre second axe est la communication. L’idée étant qu’elle doit être à l’image de la compagnie. On a transformé notre communication, qui était assez classique, vers des outils médiatiques un peu différents, on est très présents sur les réseaux sociaux, notamment Facebook. On produit beaucoup de posts. On a fait une opération MSN Messenger le 8 juillet pour être beaucoup plus en contact avec la génération des 20-45 ans. »

EJG : Quel bilan faites-vous de la loi Macron sur la liberté d’installation des notaires ?

M. V. de T. :«Le bilan est positif, car ça a permis à une nouvelle génération de notaires de s’installer. Le tirage au sort a été fait dans les meilleures conditions, c’est à dire dans une phase économique qui permettait de développer les entreprises. Ça reste quand même des entreprises qui sont fragiles. Je regarde ça avec prudence. Si une crise survenait, on mesure mal leur résistance. En Gironde, on a une grande chance. C’est qu’on a une très belle génération de notaires qui est arrivée sur le hasard du tirage au sort. Ce sont des vrais entrepreneurs, des gens de grande valeur. Ce n’est pas homogène sur tout le territoire national. »

« Le prochain congrès de Nice sera axé sur le numérique. On abordera le droit successoral concernant les réseaux sociaux. »

EJG : Qu’est-ce qui vous permet de le juger ?

M. V. de T. : « D’abord, on fait très peu de discipline en Gironde. C’est une compagnie qui a une certaine tenue. C’est difficile à expliquer, mais c’est comme ça, on a des relations fluides entre confrères, mais aussi avec les services administratifs, les élus et je pense que ce n’est pas un hasard. C’est parce que ce sont des gens qui ont un certain sens des responsabilités et qui sont des inter- locuteurs valables. C’est un plaisir de travailler avec des gens comme ça parce qu’ils sont actifs, ils veulent donner à la profession une belle image, ils sont modernes, suréquipés en informatique. C’est un des motifs pour lesquels je voulais être président. »

EJG : Quels sont les moments forts de votre profession ?

M. V. de T. : « Le congrès des notaires car c’est à la fois un moment de rencontre et ça permet de faire une prospective sur l’avenir du droit. Le prochain aura lieu à Nice du 23 au 25 septembre. Il sera axé sur le numérique, je trouve que c’est en phase avec l’actualité. Il y a des sujets qui vont être abordés de plus en plus. Je prends l’exemple des réseaux sociaux : comment arrêter un compte Facebook ou Twitter ? Peut-on faire un testament numérique ? Certains comptes génèrent une grosse valeur financière, et là ça commence à toucher à des sujets sensibles. Qu’est ce qui va se passer avec la blockchain au niveau national ? Est-ce qu’on est prêt à travail- ler avec ce système ultra-sécurisé ? Il y a des vrais enjeux. Donc, le numérique, c’est le cœur de notre vie de notaire. C’est un peu paradoxal pour un métier qui était réputé poussiéreux de se dire qu’on ne vit que dans le numérique. Il y a aussi les master class. Tout le monde est assis par terre en train de prendre des notes. On se croirait à la fac. J’ai pu régler un problème de succession en assistant à une masterclass sur le droit international privé au congrès de Bruxelles, parce qu’on y rencontre des gens différents qui, en 45 minutes, vont prendre tous les raccourcis pour régler un problème. »

EJG : Vous avez d’autres rendez-vous ?

M. V. de T. : « Traditionnellement, on organisait toujours des réunions et colloques interprofessionnels qui permettaient à la fois d’échanger et d’avoir une position commune pour fluidifier tous les cas de nos clients. On a toujours eu des sujets communs avec les avocats, lors des journées sur le divorce notamment. Aujourd’hui, alors qu’on avait pas mal de sujets sur la table, il est très difficile de se projeter en raison du Covid. Toutes ces réunions nécessitent un fort investissement, on ne peut pas demander aux confrères de s’investir pour des réunions qui risquent d’être annulées. On avait commencé à préparer un colloque sur la copropriété avec plusieurs professionnels. On voulait qu’il y ait des notaires, des avocats, des syndics, des magistrats. On avait eu plusieurs réunions avec le barreau de Bordeaux et tout ça a été interrompu. J’espère qu’on pourra reprendre ces réunions interprofessionnelles qui sont toujours enrichissantes. »

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