IMMOBILIER D’ENTREPRISE MODE D’EMPLOI

Toute entreprise a besoin de locaux pour héberger son activité. Le chef d’entreprise doit prendre en considération divers paramètres : la localisation (situation, visibilité, desserte…), les caractéristiques matérielles et juridiques actuelles et futures (surface, structure constructive, destination, contraintes urbanistiques et environnementales, etc.). Il doit garder à l’esprit que ces besoins sont susceptibles d’évoluer. Les locaux, à l’instar de l’entreprise, doivent, le cas échéant, faire preuve d’adaptabilité. La prospérité et l’intérêt de l’entreprise priment dans ce choix.

Traiter de l’immobilier d’entreprise sans traiter des préoccupations patrimoniales du dirigeant (ou de l’actionnariat) serait lacunaire. L’incidence d’une détention maîtrisée et sécurisée de l’immobilier sur la valorisation économique de l’entreprise ne fait plus débat. Égale- ment, l’entrepreneur comprend aisément qu’il peut à cette occasion générer à terme des revenus passifs. J’entends ici des revenus susceptibles d’être perçus indépendamment de son implication dans l’activité de l’entreprise. La capacité à générer une rente locative perçue lors du retrait d’activité de l’entrepreneur ne lui échappera pas. Ses conseils ne manqueront pas, à cette occasion, de poser la question de la transmission à meilleur coût de ce patrimoine, soit à un repreneur de l’entreprise, soit à ses héritiers tout en protégeant son concubin, partenaire ou conjoint.

RUPTURE ÉPISTÉMOLOGIQUE

Il ne fait plus de doute qu’il est de l’intérêt de l’entrepreneur de recourir à divers niveaux d’expertises (juridique, technique, assuranciel, comptable et financier) s’il veut optimiser son projet immobilier. Une structuration non maîtrisée peut se présenter attractive, mais se révéler sur le temps long, pénalisante au point de limiter, voire d’annuler les bénéfices escomptés ou, pire, mettre en difficulté son détenteur. Le sujet pourrait paraître « classique » et sembler avoir été déjà largement débattu. Pour autant, Il convient de faire preuve de prudence, raisonner par habitude serait un piège. La Société évolue (crise climatique, crise sanitaire, contraintes budgétaires, digitalisation forcée…). Que l’on y adhère ou pas, nous vivons une véritable rupture épistémologique, les paradigmes changent, le marché (1) et les besoins avec.

ACQUISITION DU LOCAL PROFESSIONNEL

Le législateur, le juge, la doctrine adaptent continuellement l’environnement juridique et fiscal, les praticiens l’ont bien compris. Ainsi, les « montages », les comportements et usages d’hier, à l’aune des nouveaux dispositifs environnementaux et anti-abus (2) , se révèleront inadaptés. Je souhaiterais limiter mes propos à l’acquisition du local professionnel, industriel, agricole ou commercial par l’entrepreneur. Certains privilégieront la location, notamment dans les situations où l’activité nécessite une mobilité ou une adaptation importante et lorsque la possibilité d’investissement est impossible. Lorsque se posera la question de l’acquisition, le praticien et son client raisonneront en deux temps. Premièrement, il s’agira de percevoir et d’identifier les attentes. Une compréhension nécessaire du projet d’entreprise est indispensable. Les attentes patrimoniales de l’entrepreneur feront également l’objet d’un examen approfondi. Il faut conjuguer ces intérêts afin de dégager un consensus qui constituera le fil d’Ariane de l’investissement. La poursuite de l’intérêt économique de l’Entreprise nécessairement non principalement fis- cal sera ainsi dégagée pérennisant alors l’opération. 

UN VÉRITABLE AUDIT

Les actes retenus devront être empreints d’une substance économique réelle et bannir toute artificialité. L’entreprise et l’entrepreneur feront tous deux l’objet d’un véritable audit. Les compétences transverses des professionnels du droit (notaire, avocat), du patrimoine (gestionnaire de patrimoine, banquier) et du chiffre (expert-comptable) seront mobilisées de concert. J’insiste sur cette phase de collecte des informations et de compréhension du projet d’entreprise et du projet patrimonial poursuivis. Cette phase permet de jauger du degré de maturité des projets entrepreneuriaux et patrimoniaux. Au fil des questions et informations, à, n’en pas douter les projets évolueront. Cet audit réalisé, le chef d’entreprise sera informé des solutions qui s’offriront à lui. Les avantages et inconvénients de chacune seront expliqués afin que l’entrepreneur puisse arbitrer. Cet arbitrage portera essentiellement sur l’exposition ou non de l’immeuble au risque d’activité, sur le coût de la détention (coût immédiat, à moyen et long termes), incidence sur la trésorerie opérationnelle, sur le cout fiscal, et sur la suite (revente, transmission à un repreneur éventuel ou à ses héritiers, son conjoint…). Il n’est jamais de solution universelle, chaque projet doit être taillé sur mesure. 

PRÉCONISATIONS

Le second temps est celui des préconisations. Elles tourneront essentiellement autour des sujets suivants :

– Faut-il situer l’immeuble au bilan de l’entreprise avec pour corollaire la déduction des charges financières et l’amortissement de celui-ci, et pour contrepartie d’exposer celui-ci aux risques d’activité ?

– Faut-il situer l’immeuble au bilan d’une société à objet patrimonial distincte de l’entreprise exploitante. Cette société pouvant le cas échéant opter pour l’impôt sur les sociétés et ouvrir ainsi la possibilité d’amortir les constructions. L’immeuble est écarté du risque professionnel, mais son financement ne pourra se faire directement avec la trésorerie de l’Entreprise. Ces deux sociétés ayant un intérêt distinct la tentation d’adapter le loyer au regard de la charge financière d’acquisition et non au regard du prix de marché artificialiserait l’opération, la rendant critiquable ?

– Faut-il situer l’immeuble dans le patrimoine privé de l’entrepreneur par une détention directe, exposant ainsi les revenus tirés de la location au régime des revenus fonciers et de se placer dans le champ des plus-value immobilières des particuliers dans la perspective d’une revente allégée à long terme ?

CONSTITUTION D’UN USUFRUIT

Les propositions peuvent être hybridées. On pourrait avoir recours aux techniques du démembrement de propriété par constitution d’un usufruit. L’entreprise bénéficiera de cet usufruit constitué temporairement, lui permettant d’exercer sur l’immeuble des droits importants (aménagements, sous-location, droit de jouissance dérogeant au statut impératif des baux commerciaux), un gage supplémentaire, et un élément amortissable comptablement et fiscalement. L’entrepreneur possèderait alors de manière directe (ou via une société IS ou non IS) la nue-propriété du bien pour en reconstituer la pleine propriété à l’extinction de l’usufruit qui pourrait coïncider avec sa retraite et ainsi lui procurer des revenus substitutifs à ceux de son activité. On pourrait constituer une société mère, une holding, puis filialiser distinctement l’exploitation des murs accueillant celle-ci. Les avantages de la consolidation du résultat, de la gestion centralisée de la trésorerie, tout en identifiant de manière isolée les activités (cession plus aisée d’une branche), du gage accru des créanciers facilitant le recours au crédit, de la facilitation d’une prise de participation extérieure, etc.

Enfin, il ne faudra pas écarter la possibilité de recourir au lease-back ou crédit-bail qui présente, malgré un coût de jouissance plus élevé, des attraits non-négligeables.

VOICI UN TRÈS BREF EXEMPLE :

Envisageons la situation de Monsieur X, 43 ans, président de la société par action simplifiée unipersonnelle (SASU) au sein de laquelle il exerce sa profession. Il est divorcé, père d’un fils 20 ans qui s’intéresse à l’activité mais fiscalement non à charge, sa tranche marginale d’imposition est de 41 %, il dispose de revenus élevés. Outre les actions de sa société, il est propriétaire de sa résidence principale, de liquidités, d’un contrat d’assurance-vie, ainsi que de la nue-propriété de la résidence de ses parents. Sa société est actuellement locataire de locaux propriété d’une SARL de famille à l’IS que cette dernière envisage de vendre. Nous avons identifié avec lui le souhait que ce bien lui procure des revenus au moment de sa retraite (soit par vente soit par la location des locaux), tout en préparant la transmission familiale de ces biens, son fils étant susceptible s’il ne trouve pas de repreneur de lui succéder dans l’activité.

Nous pourrions par exemple lui conseiller d’acquérir ces locaux au moyen d’une SCI constituée entre lui et son fils. Le démembrement raisonnable du capital per- mettra d’assurer à Monsieur X de disposer des pouvoirs sur l’administration du bien, tout en lui conférant les revenus viagers et en l’exonérant d’impôt sur la fortune immobilière (article 975 CGI). La transmission successorale de ce bien sera opérée avec un coût quasi-nul, préservant ainsi le bénéfice de l’abattement de donation ou successoral, et la disponibilité des tranches basses du barème de taxation des droits de donation/ succession afin d’alléger la transmission de sa résidence principale et de ses autres biens. Un pacte Dutreil sera mis en place dans la SASU d’exploitation.

Cette SCI opterait certainement pour l’impôt sur les sociétés (IS). Les règles BIC seront applicables avec pour corollaire de dégager une trésorerie opérationnelle suffisante pour faire face au remboursement de l’emprunt par réduction des « frottements » fiscaux ;

DÉDUCTION IMMÉDIATE DES CHARGES D’EXPLOITATION

Ces règles sont schématiquement les suivantes :
– Déduction immédiate des charges d’exploitation, (dont les frais et intérêts financiers du prêt et ceux de l’acquisition)
– Récupération sous condition de la TVA sur les travaux ou sur le bien s’il est récent.
– Amortissement du bâti permettant ainsi de réduire le bénéfice taxable,
– Le bénéfice taxable constitué par les loyers déduction faite des charges et intérêts et de l’amortissement (donc souvent faible) sera taxé à 15 % dans la limite de 38 120 €, puis au taux de 26,5 % au-delà soit moins qu’au taux de sa TMI de 41 %. Les dividendes – s’il en existe car ils ne seront générés que lorsque la société sera bénéficiaire, c’est-à-dire en principe au-delà de la période d’amortissement qui correspond peu ou prou à celle de la fin de du prêt bancaire ou lors de la revente du bien – sont actuellement taxés au PFU de 30 % (ou au titre des RCM). L’absence de dividendes distribuable n’exclut pas la possibilité pour l’entrepreneur de procéder au retrait des avances en compte courant qu’il aura faite sans aucune fiscalité, la trésorerie qui pourrait être dégagée en raison de l’absence de taxation le permet- tant le cas échéant.

– En revanche, lors de la cession des locaux, la taxation au taux de l’IS se fera avec une assiette d’autant plus élevée que le bien aura pris de la valeur et que la durée de détention sera longue. En effet, l’assiette de taxation est sensiblement constituée du prix de vente déduction faite de de la valeur nette comptable de l’immeuble (c’est-à-dire la valeur historique d’acquisition moins les amortissements pratiqués). Aucun abattement pour durée de détention ne sera applicable à la différence du régime SCI IR. Toutefois, l’impôt consécutif à la vente sera taxé au titre de l’exercice pendant lequel il a été cédé, sont coût sera financé au moyen du prix de cession.

En l’absence d’option IS, le bénéfice, calculé au niveau de la société, sera taxé entre les mains des associés au titre des revenus fonciers. Compte tenu de l’imposition personnelle, de l’impossibilité d’amortir et de déduire les charges d’acquisition (seuls certains travaux sont déductibles), la trésorerie sera obérée au quotidien du coût de l’impôt au taux de la TMI (1 part fiscale et taux de 41 %) après avoir essuyé les prélèvements sociaux au taux de 17,2 %. Imaginons un loyer de 4 000 € mensuel hors taxe, une mensualité intérêt et assurance comprise de 4 000 €, la trésorerie nette disponible mensuelle serait approximativement de 2 500 €. Le chef d’entre- prise devra combler avec ses revenus personnels (nets d’IRPP) environ 1 500 € par mois sans pouvoir déduire fiscalement ce manque.

Enfin, nous pourrions aussi envisager avec pertinence de faire acquérir l’usufruit temporaire des locaux par la société professionnelle (SASU) et la nue-propriété par la SCI constituée avec son fils. L’usufruit, amortissable pour la structure IS, ayant atteint son terme, la SCI IR deviendra plein propriétaire bénéficiant ainsi en cas de vente de l’abattement pour durée de détention. Le démembrement pourrait aussi porter sur les titres de la SCI dont l’usufruit serait alors acquis par la SASU. Entrepreneurs, il ne vous reste plus qu’à passer à l’Acte !

Me Stéphan GARBUÏO, notaire à Pessac.

(1) Agefi Actifs, n° 3, Janvier 2021, L’immobilier d’entreprise a été fortement chahuté en 2020. L’étude souligne un recul de 45 % de la demande de bureaux en 2020, et décrit une « pause technique » des investisseurs sur ce marché.

(2) Il n’aura pas manqué au lecteur d’apprécier l’incidence de la réforme de l’abus de droit fiscal. Porté par la loi de finances pour 2019, le nouvel article L 64A du Livre des procédures fiscales considère abusif les actes qui ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales. Sont visés les actes et opérations réalisés depuis le 1er janvier 2020, les premières propositions de rectifications pouvant être notifiées à partir du 1er janvier 2021.

 

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